Washington et la torture, qu’en pensent les leaders politiques canadiens ?

lundi 19 décembre 2005, par Thomas WALKOM

Voilà une question que les leaders politiques devraient discuter dans le cadre la campagne électorale : est ce que le gouvernement fédéral devrait accepter et aider la torture ? Ce n’est pas une question académique. Il y a beaucoup de rapports faisant état d’une complicité canadienne dans des cas de tortures. Récemment, il est ressorti que des aéroports canadiens avaient été utilisés par des avions de la CIA, comme cela a été le cas en Europe. Et que ces avions transportaient des détenus que les Etats-Unis emmènent vers des centres de tortures dans divers pays, y compris la Pologne. La semaine passée par exemple, les autorités de l’aviation civile de Norvège ont confirmé qu’un vol d’un avion de la CIA avait atterri le 20 juillet dernier à Oslo en provenance de Gander à Terre-Neuve. Selon la Presse canadienne, au moins six avions appartenant à des firmes liées à la CIA ont atterri à Gander et à St-John’s dans les derniers mois. La ministre de la sécurité, Anne McLellan, affirme enquêter. Mais du même souffle, son porte-parole déclare que la Ministre ne va pas interpeller les Etats-Unis sur le sujet. Si le Canada était réellement intéressé à empêcher des pays étrangers de transporter secrètement des prisonniers via notre territoire, la solution est simple. Les autorités aéroportuaires doivent vérifier les avions privés qui arrêtent au Canada. À Gander, les agents de sécurité auraient trouvé dans les avions Gulfstream III apprêtés par la CIA pour l’Europe des prisonniers enchaînés et encagoulés.

Un autre enjeu concernant la torture est la présence canadienne en Afghanistan. Quand les soldats canadiens capturent des suspects, ils les donnent à l’armée américaine. Le problème est que les Etats-Unis refusent de respecter les conventions de Genève. Les prisonniers afghans sont gardés dans des prisons secrètes, sans accès de la Croix-Rouge. Certains sont envoyés à Guantanamo, où ils sont détenus sans accusation, parfois pendant des années. Selon les organismes de droits humains aux Etats-Unis même, les abus contre ces détenus sont fréquents. Selon les conventions de Genève, un soldat qui rend un prisonnier à une autre armée est responsable de celui-ci et peut être accusé de crimes de guerres si des abus sont commis. Il se pourrait que la tempête éclate à ce propos et que certaines nations redécouvrent la vertu de la loi internationale. Lorsque cela surviendra, des soldats canadiens pourraient être accusés des mauvais traitements infligés aux prisonniers afghans et convoqués par le Tribunal international de justice. En ignorant ces faits, le gouvernement canadien ne rend pas service aux soldats canadiens. Il se défend en affirmant que les Etats-Unis ont donné des garanties à l’effet que ces prisonniers ne seraient pas torturés. Mais comme tout le monde le sait, le président Bush définit la torture d’une manière bien étroite. Encore là, la solution est simple. Quand des soldats canadiens capturent des combattants afghans, ils devraient les rendre à un pays qui respecte les conventions de Genève ou les garder eux-mêmes.

On nous dit parfois que ces questions intéressent personne dans une campagne électorale qui se concentre sur les réductions d’impôts et les garderies. Mais dans le sillon du 11 septembre 2001, il y a un débat sur les valeurs fondamentales qu’il mérite d’explorer. Michael Ignatieff, le candidat libéral dans la circonscription de Etobicoke-Lakeshor, a affirmé l’an passé que la torture devait être bannie mais que les Etats-Unis, dans certaines circonstances devraient légaliser « des formes acceptables d’interrogation coercitive », telle que la privation de sommeil et d’autres techniques de désorientation qui ne causent pas « de dommages mentaux ou physiques ». Est-ce que cette position est partagée par Paul Martin ?Et qu’en pensent Stephen Harper et Jack Layton ? À date, un seul candidat, Michael Shapcott (NPD à Toronto) a voulu aborder ces questions. Il estime qu’il faut un débat national sur l’implication du Canada dans la torture mise en œuvre par les Etats-Unis. Je pense que plusieurs électeurs seraient d’accord avec lui.


* THOMAS WALKOM est columniste au Toronto Star. Le texte a été publié le 5 décembre.

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