Vous vous trompez, M. Trudeau !

lundi 17 octobre 2016, par Claude Vaillancourt

M. Trudeau,

Vous êtes devenu ces derniers jours un grand défenseur de l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG). Les arguments que vous avez utilisés à ces fins ne nous ont pas convaincu. Je dirais même qu’ils nous ont plutôt montré à quel point vous êtes dans l’erreur.

Vous proclamez que l’AÉCG est un accord « progressiste ». Parce que vous vous qualifiez de progressiste, vous imaginez que tout ce que vous touchez le devient. La vérité, c’est que l’AÉCG causera des pertes d’emploi au Canada et en Europe, qu’il fera des pressions à la baisse sur les salaires en mettant les travailleurs et les travailleuses en concurrence les uns contre les autres.

La vérité, c’est que cet accord n’est associé à aucun mécanisme de redistribution de la richesse, qu’il n’agit en rien, par exemple, contre la concurrence fiscale, un des grands problèmes de l’heure. Il n’offre rien pour protéger l’environnement, bien au contraire, il donne aux grandes entreprises des moyens pour intervenir contre les règlementations environnementales qui limiteraient leur profit. Il affaiblit les services publics et ne permet en rien de renforcer les programmes sociaux.

Vous avez dit lors d’une conférence à Ottawa que vous avez fait « énormément d’améliorations » à l’accord. Faux ! Vous avez repris tel quel ce qui a été négocié par les conservateurs de Stephen Harper. La continuité entre ce gouvernement, que vous avez tant décrié, et le vôtre est sans failles — à l’exception de minuscules changements cosmétiques.

Vous avez dit : « Si l’Europe n’arrive pas à signer cet accord, ça va être un message très clair pas juste aux Européens, mais au monde entier que l’Europe est en train de choisir une voie qui n’est pas très productive ni pour ses citoyens ni pour le monde. » N’est-ce pas exactement le contraire ?

Les centaines de milliers de personnes qui sont descendues dans la rue pour protester, la pétition de plus trois millions de signatures contre cet accord montrent bien que selon ces gens, c’est plutôt l’AÉCG qui n’est pas productif pour les populations. Renoncer à cet accord, c’est aussi renoncer à un texte rempli de clauses sibyllines qui empêcheront de mettre en place des mesures progressistes. Si les peuples européens ont un beau message à envoyer au monde entier, c’est bien dans leur résistance à des accords commerciaux qui favorisent le développement les inégalités.

Vous qualifiez vos adversaires de « forces antimondialistes ou anti commerce international », des mots qu’on n’a pas entendus depuis des lustres. Tout simplement parce que ces qualifications sont fausses. Celles et ceux qui s’opposent à ce genre d’accord ne veulent en rien fermer les frontières ou s’opposer aux échanges internationaux. Ces gens désirent simplement que le commerce se fasse selon des règles acceptables, dans l’intérêt de tout le monde, et non pas dans celui des seules richissimes entreprises transnationales.

Vous vantez les mérites de l’AÉCG, mais l’avez-vous lu ? Savez-vous exactement ce qu’on a négocié ? Certes, si vous décidez de vous y plonger, vous ne comprendrez pas grand-chose, et personnes ne vous en blâmera. C’est que le texte est écrit dans un langage juridique archi compliqué qui donne de la matière aux cabinets d’avocats en droit commercial pour faire durer les causes pendant de longues années. Aux frais des contribuables, bien sûr.

Mais vous êtes bien entouré d’experts et de lobbyistes de grandes entreprises qui vous dictent ce qu’il faut en penser. Vous avez bien écouté la population canadienne pendant la campagne électorale. Maintenant, vous lui tournez le dos. Nous sommes hélas habitués à ces virages radicaux. Mais de grâce, dans ce cas, n’utilisez plus le mot « progressiste ».

À bien plonger dans cet accord, vous seriez obligé d’admettre qu’on a pensé à tout pour limiter votre pouvoir en tant que Premier ministre. Ce qu’on attend de vous, normalement, c’est d’adopter des lois dans l’intérêt public. Mais dans cet accord, il y a un tribunal qui donnera la possibilité aux entreprises transnationales de remettre ces lois en question. Il y a aussi un « forum de coopération règlementaire », qui permettra à des fonctionnaires, sous l’influence de lobbyistes, d’ajuster en catimini les règlementations selon les normes qui conviendront le plus à la grande entreprise.

Ce qu’on attend de vous aussi, et des autres gouvernements provinciaux et municipaux, c’est de distribuer les contrats publics de façon à dynamiser l’économie locale. Mais sans ne rien obtenir en retour, vous avez ouvert une grande quantité de nos contrats publics aux multinationales européennes, qui pourront faire de jolis profits au Canada, et rapatrier l’argent très loin d’ici. Ce dont s’est d’ailleurs réjoui le premier ministre français Manuel Valls : « Cet accord répond à plusieurs de nos attentes. Le Canada a accepté d’ouvrir les marchés publics à tous les niveaux. »

Non M. Trudeau, ce n’est pas un accord « gagnant-gagnant » comme vous le dites, mais plutôt « perdant-perdant » pour les populations. J’ai beau chercher, creuser, observer cet accord sous tous ses angles, je n’y vois strictement rien de progressistes. Bien au contraire, j’observe dans votre discours le salissage d’un très beau mot que vous devriez utiliser à bon escient.

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