Convention républicaine

Violence invisible

dimanche 3 octobre 2004, par Francis Dupuis-Déri

1821 manifestants ont été arrêtés par la police lors du Congrès républicain qui s’est tenu à New York à la fin du mois d’août et au début du mois de septembre (selon la police, source : New York Times, 4 septembre). C’est presque quatre fois plus que lors des manifestations contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Seattle en 1999. Et pourtant... À New York, il n’y a pas eu de Black Blocs, ni de vitrines de McDonald’s ou de banques fracassées, ni de clôture renversée. Bref, les manifestants étaient « pacifiques » et « non-violents », comme les politiciens et policiers les aiment. Résultat, les médias officiels - publics ou privés - ont à peine parlé du grand défilé de plusieurs centaines de milliers de manifestants, et peu ou pas du tout des dizaines d’actions décentralisées qui se sont succédées pendant plusieurs jours. Il semble que pour les médias officiels, c’est surtout la « violence » qui justifie qu’on parle des manifestants.

Il y a pourtant eu violence, au cœur de la démocratie américaine : près de 2000 personnes ont été menottées, regroupées dans des véhicules et incarcérées durant souvent plus de 24 heures sans accusation (ce qu’a dénoncé la Guilde nationale des avocats). Comment expliquer qu’une telle violence n’ait pas attiré une vaste couverture médiatique et n’ait pas provoqué des éditoriaux enflammés ? La violence des policiers serait-elle invisible aux yeux des médias officiels ? Il faut dire que les policiers de New York avaient semé la peur plusieurs semaines avant l’évènement, pour bien justifier leur actes répressifs. Un quotidien new-yorkais avait ainsi annoncé en première page que, selon la police, des « anarchistes » préparaient des « bombes ». Le 26 août, le journal New York Daily News mentionnait l’arrivée de dangereux militants anarchistes, dont « Jaggi Singh, un citoyen canadien [...] qui aurait catapulté des ours en peluche imbibés d’essence contre les policiers lors des manifestations contre le G20 en 2001 à Québec, selon le rapport de la police de New York ». Tout est faux : la catapulte a été utilisée - sans essence - lors des manifestations contre le Sommet des Amériques et non contre le G20 et la cour a reconnu que Jaggi Singh n’avait rien à voir avec cette « arme ». Sing a bel et bien été arrêté lors d’une manifestation contre le G20 (Montréal, automne 2000), mais a été innocenté de cette accusation. Quant aux accusations portant sur son militantisme contre le Sommet de Québec, la poursuite a été abandonnée.

Amalgames, mensonges, désinformation. Qui sème la peur, qui terrorise ? Jaggi Singh n’était pas à New York, et les « anarchistes » n’y ont rien cassé. Les témoignages concordent pourtant au sujet d’arrestations des plus arbitraires : celui-là jouait de la guitare sur le trottoir : arrêté ; ceux-là déroulaient une banderole dans la rue : arrêtés ; d’autres se rassemblaient pour délibérer au sujet des prochaines manifestations : arrêtés.

La majorité des commentateurs et des militants aimeraient croire que les actions « non-violentes » - défilés, vigiles, etc. - sont plus « efficaces ».

Politiciens, policiers et gens des médias nous disent d’ailleurs que la « violence » ternit l’image publique des manifestants et justifie leur arrestation. La répression policière de New York semble indiquer une dynamique bien plus complexe... À considérer les grands médias, il semble que sans « violence », les manifestants n’ont pas d’image publique... À considérer la police, il semble que les arrestations de masse ne sont pas nécessairement une réponse à la « violence » des manifestants. Qui est violent ? Qui encourage le recours à la violence ?


L’auteur est chercheur au département de science politique et au Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal (CRÉUM).

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