« Nous avons désespérément besoin de lieux sécuritaires d’injection, puisqu’il s’agit d’une des mesures les plus efficaces pour réduire de façon significative les méfaits liés à l’usage de drogues injectables », soutient Dean Wilson, un membre de la Vancouver Area Network of Drug Users (VANDU). L’organisation tente de réduire les problèmes liés à l’usage des drogues en plus d’accroître la capacité des personnes toxicomanes à se prendre en main grâce à une gestion de leur consommation et à des mesures de santé publique comme les LSI.
Les conséquences négatives liées à l’usage de drogues par injection sont nombreuses et fort bien documentées. Entre 1990 et 2002, pas moins de 1 200 personnes sont décédées de surdoses dans le célèbre quartier Dowtown Eastside de Vancouver. La surconsommation de drogues y est désormais la première cause de mortalité chez les 30 à 44 ans.
Le Downtown Eastside enregistre également le taux d’infection au VIH le plus élevé des pays développés, qui est estimé à près de 30 % chez les utilisateurs de drogues par injection ; le taux d’infection grimpe à 90 % lorsqu’il est question d’hépatite C.
Sauver des vies
« Il est grand temps de prendre les mesures qui s’imposent », affirme pour sa part Thomas Kerr, chercheur en matière de santé qui œuvre au BC Centre for Excellence in HIV-AIDS. M. Kerr a fait partie d’une équipe de chercheurs qui se sont penchés sur la question en visitant 18 lieux sécuritaires d’injection dans quatre pays. Ils ont noté que, comparativement aux services conventionnels, les LSI permettent aux professionnels de la santé d’établir des liens de confiance avec les toxicomanes, ce qui facilite l’accès à des soins de santé et, dans certains cas, à des cures de désintoxication.
À Frankfort, en Allemagne, les lieux sécuritaires d’injection font partie du paysage urbain depuis le début des années 90. Résultat : le nombre de morts par surdose est passé de 147 en 1991 à seulement 22 en 1997 et aucun de ces décès n’est survenu dans un LIS.
Les expériences menées en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas et en Australie tendent toutes à démontrer que la mise en place de LSI réduit les méfaits non seulement pour les utilisateurs de drogues mais aussi pour l’ensemble de la population : réduction de la visibilité des toxicomanes et élimination d’une grande partie du phénomène des seringues souillées jetées dans les lieux publics.
S’attirer les critiques
Malgré ces faits, plusieurs continuent de considérer que ces « piqueries légales » sont plutôt un incitatif à la consommation de drogues. En outre, la mise en place de LSI compromettrait, selon eux, les relations d’affaires entre le Canada et son voisin prohibitif.
C’est ainsi qu’une alliance composée de gens d’affaires de Vancouver et Montréal
(qui songe aussi à l’implantation d’un LSI) s’est formée en opposition à ce projet et affirme que ce type de mesure augmentera le nombre de revendeurs et a pour but de protéger les toxicomanes au détriment de la sécurité de la population en général.
Au cours d’une tournée européenne, le député de l’Alliance canadienne, Randy White, à titre de membre du comité spécial sur l’usage non médical des drogues, a déclaré : « Ce n’est pas la réduction des méfaits qui est proposée par le biais des LSI mais bien une augmentation des méfaits. » Il a par ailleurs insisté sur le fait qu’il faut investir dans les centres de réhabilitation plutôt que dans les salles d’injection et s’est aussi interrogé sur la pertinence d’investir de l’argent servant uniquement à entretenir la dépendance des toxicomanes.
Si le débat sur les LSI est clairement amorcé au Canada, le sujet divise et fera jaser encore longtemps. Il semble pourtant que les résidents de Vancouver soient désormais favorables à la mise en place de lieux sécuritaires d’injection. Lors des dernières élections municipales, les citoyens ont élu avec une écrasante majorité la Coalition progressiste des électeurs, un parti de gauche ayant axé sa campagne sur la recherche de solutions dans le Downtown Eastside. Larry Campbell, nouveau maire et ancien coroner, a fait savoir qu’il désirait aller de l’avant avec l’implantation d’un lieu sécuritaire d’injection et ce, rapidement. La population attend toujours. L’ouverture du premier LSI, d’abord fixée à janvier 2003, ne cesse d’être reportée, et on ne sait pas encore qui paiera pour la mise sur pied d’un tel projet. À suivre.