Une ville, un prophète, deux peuples

La ville d’Hébron, microcosme de l’occupation israélienne en Palestine

lundi 3 juillet 2006, par Simon COUTU

HÉBRON - L’endroit ressemble à une ville fantôme. Les rues anciennement animées de la vieille ville sont vides, les commerces fermés tombent en ruines, des militaires à tous les coins de rue.

Hevron en hébreu, al-Khalil en arabe : ces deux mots se traduisent par « ami ». Difficile à croire quand on fait le tour de cette ville de Cisjordanie. C’est la seule colonie juive implantée au cœur d’une ville palestinienne.

Les Israéliens occupent la vieille ville où l’on retrouve le Tombeau des Patriarches, l’endroit où serait enterré Abraham. Juifs et musulmans reconnaissent l’importance du prophète. Depuis le massacre de 29 Palestiniens perpétré par Baruch Goldstein en 1994, la vieille ville s’est considérablement vidée de ses habitants arabes. Aujourd’hui, environ 600 colons occupent la ville d’Hébron, entourés de quelque 150 000 Palestiniens.

En 1997, dans le cadre de l’accord d’Hébron, la ville fut divisée en deux parties. L’Autorité palestinienne contrôle la zone H1, et l’État d’Israël la zone H2. Un système de check points sépare celle-ci de la partie arabe. Seules les voitures israéliennes peuvent y entrer : des rues « stériles », dans le jargon militaire. Pour y accéder, les Palestiniens doivent détenir un permis.

Les agressions des colons sur la population palestinienne ne sont pas rares. « Ils nous lancent des roches, des œufs », affirme Farial Abu Haikal, directrice d’une école dans la zone H2. « Ils nous attaquent aussi avec leurs chiens, qui s’en prennent aux enfants palestiniens. »

De leur côté, les colons soutiennent qu’ils ne font que se défendre. « Si les Arabes commencent une guerre, ils doivent comprendre qu’on ne se laissera pas faire, soutient David Wilder, le porte-parole des colons d’Hébron. Ce n’est pas nous qui avons pris la décision de fermer toutes les rues, d’imposer des couvre-feux, de fermer des commerces, c’est l’armée. Les Palestiniens aiment mieux nous tirer dessus que faire du commerce. C’était devenu trop dangereux pour la communauté juive. »

La présence militaire est considérable. Environ 450 militaires patrouillent dans les rues de la ville. Ceux-ci ont comme mandat de protéger les colons autant que les Palestiniens. Eli B. Smette, porte-parole de TIPH (Présence internationale temporaire à Hébron), dénonce plusieurs abus. « L’armée occupe régulièrement des maisons palestiniennes. Parfois, ils forcent des familles à rester une journée entière dans une même pièce pour fouiller la résidence. Dans les nombreux cas d’agressions de la part des colons, on déplore le manque d’intervention de la part des autorités israéliennes. »

L’occupation militaire entrave aussi la liberté de mouvement des Palestiniens qui vivent près des colonies. « Il n’y a aucun moyen de me rendre en voiture à ma maison, affirme Farial Abu Haikal. Ils ont bloqué le passage 300 mètres en bas de la côte. Je dois traîner à la main mes bombonnes de gaz, mes sacs de farine, ma nourriture. »

Des restrictions qui amènent parfois à des situations dangereuses. « Il y a un an, mon père, 75 ans, a eu une attaque cardiaque, raconte Hani Abu Haikal. Il a fallu négocier 3 jours pour que l’ambulance se rende à sa maison située dans le quartier Tal Rumeida. Il était alors dans le coma. On n’a pas pu le sauver. Quand l’ambulance est venue chercher le cadavre, les colons se sont mis à danser autour. Ils chantaient, donnaient des bonbons aux enfants. Ils fêtaient la mort d’un Arabe de plus. »

Les colons d’Hébron affirment que la ville leur appartient. « Selon moi, Hébron fait partie intégrante de l’État d’Israël, clame David Wilder. Ici, il y a 4000 ans d’histoire du peuple juif. Le quartier nous appartient. Des Juifs y habitaient avant le massacre de 67 juifs en 1929. On a des contrats légaux qui prouvent qu’on est propriétaires. Les Palestiniens ont leur état, la Jordanie. Les Arabes qui vivent à Hébron ont la même religion, la même culture que les Jordaniens. »

Ce n’est pourtant pas l’avis de neuf représentants des familles juives qui vivaient à Hébron avant le massacre. Le 16 mai dernier, ceux-ci manifestaient pour que cessent la violence et l’occupation des colons. « Le terrible massacre qui a eu lieu en 1929 ne justifie pas la violence de ces colons, affirme Shula Rahav, résidante de Tel Aviv. On devrait laisser ces problèmes dans le passé et passer à autre chose. Cet endroit n’appartient pas strictement aux Juifs. »

Amon Bierman, un habitant de Jérusalem, a souvent entendu son grand-père lui raconter comment cohabitaient les deux communautés avant 1929. « Ils récoltaient le raisin ensemble, ils s’entraidaient. Les Juifs parlaient arabe et avaient adopté une partie de leur culture. Ce qu’on voit aujourd’hui à Hébron est effrayant. »

Depuis le début de l’année, l’armée a procédé à l’éviction d’une douzaine de familles juives qui occupaient illégalement des commerces et des maisons palestiniens. Une décision prise dans le contexte du nouveau plan de convergence de Ehud Olmert. Il vise le démantèlement de certaines colonies isolées de Cisjordanie et le renforcement des plus importantes. « Le nouveau plan d’Omert est abominable, s’exclame David Wilder. C’est du nettoyage ethnique d’expulser les Juifs de leurs maisons de la sorte. » Le 7 mai dernier, les colons ont répondu violemment à l’opération des forces armées israéliennes qui ont vidé la colonie de Beit Shapira.

Dans la vieille ville d’Hébron, les sourires sont rares, mais certains restent optimistes. Farial Abu Haikal est de ceux-là. « J’apprends à mes enfants à vivre en paix. On a l’espoir de pouvoir vivre un jour en harmonie avec la communauté juive. » Pourtant, ce n’est pas cette année que les deux peuples récolteront ensemble le fruit de leurs labeurs.


Étudiant en journalisme, l’auteur séjourne présentement dans les Territoires occupés.

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