Jean-Paul Dubois est l’auteur de plusieurs romans qui ont bien marché. Dont Kennedy et moi, adapté au cinéma, et Jusque-là tout allait bien en Amérique. Titres évocateurs, clins d’œil au pays des cow-boys. C’est que le romancier est aussi journaliste-reporter pour le Nouvel Observateur, et a sillonné les États-Unis d’un bout à l’autre et dans tous les sens pendant 18 ans. Dans tous les cas, l’écrivain a la plume non pas assassine, mais un peu cynique, dérisoire, l’air de dire « il faut bien rire de nos travers et de nos petites manies ». Regard percutant sur une génération, la sienne, celle des soixante-huitards, sur la France et les États-Unis.
De Kennedy à Mitterrand
Déjà le thème de la rupture conjugale et de l’homme en décalage avec le monde qui l’entoure dans Kennedy et moi. Ici, dans Une vie française, c’est le récit linéaire de Paul Blick, qui comme l’auteur, est toulousain et dont la vie commence alors que le général de Gaulle est président de la Ve République. L’après-guerre, les années 1950. Une famille ordinaire marquée par la mort du fils aîné en bas âge, une grand-mère acariâtre, des oncles et des tantes de toutes tendances politiques, des parents silencieux. Puis les événements d’Algérie, puis Mai 68, puis un nouveau président en la personne de Georges Pompidou. Avec un court intermède entre le général et ce dernier, celui de Pohen qui ne durera que deux mois et dont personne ne se souvient. Ainsi va la vie, aux rythmes des présidents de la République, jusqu’au dernier en date, Chirac.
« Ça me paraissait naturel, commente Jean-Paul Dubois, de diviser ce roman par présidence. En France, la politique occupe une place très importante, elle sépare et déchire les familles. Toutes les familles ont des histoires reliées à l’occupation, à la guerre d’Algérie, à Mai 68. Ce sont des séquences, des respirations politiques. Les présidents pour les Français, cela donne des repères immédiats, ce sont des souvenirs, des couleurs. »
Pour l’auteur, ce n’est pas tant les personnalités des présidents qui comptent ici, mais plutôt les époques qu’ils représentent, et que souvent « ils n’ont pas vraiment incarnées, mais plutôt subies. Sauf peut-être pour Mitterrand et Giscard d’Estaing. » Celui-ci aura été le dernier à gouverner alors que la peine de mort existait encore, et Mitterrand celui qui l’a abolie. « J’ai remarqué qu’il y a une correspondance entre les types de présidence et la société. Par exemple, la corruption de Mitterrand se retrouvait également répandue dans la société de ces années-là. » Les présidences sont donc une « histoire en toile de fond ».
Jean-Paul Dubois admet qu’Une vie française, pour ne pas être une autobiographie, c’est tout de même une bonne part de lui-même. « On ne peut pas écrire un livre comme ça, en restant à l’extérieur. » Ainsi, Paul Blick est probablement un peu l’adolescent de Mai 68 qu’a été Jean-Paul Dubois, inspiré par Cohn-Bendit, entre autres libertaires. « Blick est certainement un représentant de Mai 68, de la tendance libertaire, celle qui a le mieux survécu jusqu’aujourd’hui. Car ses adeptes ne se sont jamais rangés dans des partis politiques, ils sont demeurés des fossiles de cette époque. »
Décidément, arrivés à la cinquantaine, les auteurs français sentent le besoin d’écrire sur leur jeunesse « glorieuse » passée sur les barricades, le temps de quelques jours. « C’est sans doute, répond le romancier, parce qu’on arrive à un âge où ce type de questionnement s’impose, est plus aigu. C’est assez logique. »
Mais Dubois insiste, dans tout cela, il y a beaucoup de nuances, les acteurs de Mai 68 n’étaient pas tous de même obédience, et n’ont donc pas tous le même regard, la même grille d’analyse sur ce passé. Beaucoup n’ont que des remords, comme Olivier Rolin, dans Tigre en papier, précise encore l’écrivain. « Il y a beaucoup de repentis. Alors que dans mon livre, la tendance est de dire qu’on n’a pas eu tort, qu’on a seulement eu tort de lâcher. Cette génération a loupé une chance qui ne se représentera plus. » Cette chance, c’était la possibilité de changer le cours des choses, les rapports de société et les façons de gouverner. De cela Jean-Paul Dubois est profondément convaincu.
Chirac, Bush
De la France d’aujourd’hui, celle de Chirac, du monde d’aujourd’hui, celui de Bush, la part de journaliste dans le romancier parle de « société en train d’évoluer de plus en plus vers un désir d’ordre. On accède à un autre monde, de plus en plus déshumanisé. Et sans s’en rendre compte, on s’y habitue. » Il est bien loin le temps des barricades. Les 18 années passées aux États-Unis ne sont rien pour rendre moins pessimiste l’écrivain. Si des petits pays, comme la France, sont bousculés, en lutte interne entre ce nouveau monde et leurs vieilles valeurs, au royaume des Bush, la question est réglée : « Ils sont passés de l’autre côté depuis longtemps. C’est maintenant un pays de destruction massive. » Jean-Paul Dubois en veut pour preuve l’interdiction de l’avortement, la peine de mort, ces vieillards qui, à 70 ans, font les « serveurs » dans les snacks bar de Miami parce qu’ils n’ont pas de pension de retraite, et le fait que l’on vous demande votre carte bancaire plutôt que votre carte d’assurance maladie lorsque vous vous présentez dans les hôpitaux. « Ça dit tout de ce pays. Les Américains sont habitués à leur propre horreur, alors que le pays se livre d’abord à une violence envers ses propres ressortissants. »
Ça change du discours de bien des intellectuels français, que Dubois lui-même qualifie de complaisant. Jean-Paul Dubois, son sourire charmant, son humour, nous change aussi des habituels auteurs français ténébreux et torturés.