Marcel Sévigny est un résident bien connu à Pointe St-Charles, notamment pour son implication dans le quartier au sein de la table de concertation Action-Gardien. Il savoure cette victoire citoyenne, tout en reconnaissant qu’elle fut rendue possible grâce à une conjoncture particulièrement favorable. « Les mobilisations y sont pour 50 % et l’autre moitié vient des éléments qui ont défavorisé ce projet », note-t-il.
Parmi ces éléments, on ne peut ignorer les critiques fortement défavorables du directeur de la santé publique de Montréal, ainsi que le rapport Coulombe qui, sans condamner le projet, recommande une consultation de 18 mois avec le milieu. Toutefois, c’est le retrait du Cirque du Soleil qui, invoquant des raisons financières, sonnait le glas du projet de déménagement. Certains, comme Richard Morin, professeur au département d’études urbaines et touristiques à l’UQAM, soutiennent qu’il s’agissait aussi de ne pas entacher l’image publique de « bon citoyen corporatif » du Cirque du Soleil dans un projet qui, somme toute, ne faisait pas l’unanimité du milieu.
Quoiqu’il en soit, les pressions populaires de Pointe St-Charles ont été un élément déterminant dans l’abandon du projet. « Si nous n’avions pas été là, le projet serait encore sur la table », clame Marcel Sévigny. « Nous avons envoyé un message clair que nous ne lâcherions pas le morceau », ajoute-t-il. Selon Richard Morin, les organismes communautaires ont joué un rôle crucial en soulevant deux enjeux fondamentaux, soit les effets négatifs du casino sur une population plus fragile, et le sens du développement économique que l’on veut donner à Pointe Saint-Charles et à Montréal.
Deux visions
Pour le professeur de l’UQAM, le projet de déménagement du casino illustre à merveille les deux visions du développement qui s’affrontent à Montréal. D’une part, celle promue par les grands acteurs économiques, qui vise à positionner Montréal sur l’échiquier mondial en y attirant de grands investissements. C’est la perspective dans laquelle se situe le déménagement du casino plus près du centre-ville, où il risque d’attirer davantage les touristes. D’autre part, la vision promue par les acteurs du milieu qui se mobilisent dans une perspective locale axée sur les besoins des populations. Contrairement à ce que certains éditorialistes ont affirmé, Richard Morin ne croit pas que les organismes communautaires soient contre le développement, mais plutôt « contre un certain type de développement ». De plus, ces groupes permettraient selon lui un débat public sur le sens à donner au développement, sur ses conséquences et sur ses retombées, surtout qu’ils sont eux-mêmes porteurs et promoteurs de certains projets de développement. « Ce qui est très important démocratiquement », fait-il remarquer.
Il faut dire que la bataille sur le déménagement du casino au bassin Peel est survenue peu de temps après l’Opération populaire d’aménagement (OPA), un processus participatif ayant mobilisé 300 citoyens du quartier. L’OPA visait à proposer et à promouvoir un plan d’aménagement pour le quartier. « Bien que nous n’avions pas de projets clé en main, nous avions tout de même débuté une démarche citoyenne en ce sens », confie M. Sévigny. Pour Richard Morin, c’est ce qui est particulièrement irritant dans l’attitude de Loto Québec : « Ils n’arrivaient pas en terre vierge mais en plein quartier résidentiel où le milieu réfléchissait déjà sur le développement qu’il souhaitait, incluant l’aménagement des terrains convoités ! ».
Les médias ont certes joué un rôle dans l’abandon du projet. « Nous avons joui d’une sympathie des médias peu courante pour des batailles de mouvements communautaires et citoyens », s’étonne Marcel Sévigny. « Action-Gardien avait une porte-parole qui s’exprimait de façon claire et cohérente, ce qui a favorisé le capital de sympathie des médias et de la population », croit pour sa part Richard Morin. « On a bien senti qu’on gagnait la bataille de l’opinion publique » soutient M. Sévigny, qui explique cette victoire par le fait d’avoir défendu une question de principe et de patrimoine commun.
D’après Richard Morin, ce type de victoire est important pour le mouvement communautaire. « C’est une tape dans le dos qui indique que si vous vous mobilisez, le projet peut être bloqué ». Il croit de plus que cela peut envoyer un message aux promoteurs quant à l’importance de se concerter avec les populations. Cependant, il n’était pas question de négocier quoi que ce soit avant d’en faire un débat public, souligne Marcel Sévigny. « On voulait le retrait pur et simple du projet, c’était fondamental ».
Si les groupes de Pointe Saint-Charles se méfient de voir réapparaître le projet du casino après les prochaines élections provinciales, Marcel Sévigny se dit prêt à mener la bataille en proposant une utilisation plus intéressante des espaces, et, d’ainsi, couper l’herbe sous le pied de Loto-Québec. Chose certaine, si tel était le cas, les regards continueront d’être nombreux à suivre la bataille livrée dans ce quartier, souvent surnommée la Petite Gaule. « Les victoires sont très importantes. C’est pourquoi on suit de très près ce qui se passe dans le Sud-Ouest avec le Casino. Ça donne de la motivation à l’ensemble des luttes citoyennes », remarque Sharon Leslie, du Conseil communautaire de Notre-Dame-de-Grâce.