L’État de Victoria, dont la capitale est Melbourne, dans le sud-est du pays, est le premier en Australie à se doter d’une charte des droits avec l’entrée en vigueur du texte le premier janvier. Cet exemple, qui a suscité de vastes débats, devrait inspirer le reste du pays.
Plusieurs autres États australiens ont entamé des consultations publiques, afin d’étudier la possibilité de renforcer les lois pour mieux protéger les droits de la personne. Le nouveau gouvernement fédéral dirigé par les travaillistes a d’ailleurs soutenu que des consultations auraient lieu pour l’établissement d’une charte nationale.
Les divers gouvernements en Australie (fédéral, États, territoires) attendent de voir si les prédictions de ceux qui ont critiqué la création d’une charte dans l’État de Victoria vont se matérialiser. Ces pessimistes soutiennent qu’elle va engendrer une foule de poursuites qui vont congestionner le système judiciaire, et que les criminels vont s’en servir à leur profit.
Ce document promulgué par l’État de Victoria reconnaît pour la première fois des droits fondamentaux comme la liberté d’expression, le droit d’association, la protection contre des traitements inhumains ou dégradants, la protection des familles et des enfants, et le droit à l’engagement public. Les 20 droits reconnus dans la Charte ont été choisis après une vaste consultation publique dans l’État de Victoria. Le gouvernement a par la suite retenu les droits qui faisaient l’unanimité pour les inclure dans un texte de loi.
Une charte qui manque de dents
Les citoyens de l’État ont toutefois rejeté une approche comme celle de la Déclaration des droits des États-Unis. Selon eux, la formule américaine, qui a préséance sur toutes les autres lois et qui est interprétée par les tribunaux, n’est pas souhaitable, car elle favorise les poursuites.
La Charte de Victoria est aussi assez différente de la Charte canadienne des droits et libertés adoptée en 1982. Elle a plutôt comme modèle la Loi sur les droits de la personne du Royaume-Uni, qui est en fait une loi comme les autres.
Dans l’État de Victoria, les tribunaux ne peuvent se pencher sur de présumés abus des droits que si cette cause est liée à une autre poursuite, par exemple pour négligence criminelle ou voie de fait. Ceci limite donc grandement les possibilités de faire respecter ses droits. Les plaignants ne peuvent d’ailleurs recevoir de compensations. La Charte n’offre donc qu’un droit de contester, d’être entendu et d’obtenir une décision, et ce, publiquement.
Si un tribunal considère qu’une politique ou une loi viole la Charte, il n’a pas le pouvoir d’y passer outre ou de l’abolir. La cour peut seulement la déclarer comme incompatible avec la Charte. Le ministre de la Justice de l’État de Victoria a alors six mois pour réagir. Il peut apporter les changements qui lui semblent nécessaires, ou tout simplement ne pas modifier la loi qui fait défaut. Si le gouvernement décide de contrevenir à la Charte pour des questions de sécurité publique ou de bien commun, il doit justifier ce choix, sans plus.
Le modèle adopté par l’État de Victoria en est donc un visant la « prévention », qui incite le gouvernement à être vigilant et transparent. La Charte va guider les autorités à tenir compte des droits de la personne lors de l’élaboration de lois et lors de la prestation de services.
Une démarche civique
Un des principaux buts de la Charte est d’amener les citoyens de l’État de Victoria à se préoccuper des droits de la personne, afin de construire une culture du respect.
Les écoliers vont étudier la Charte en classe et déjà des milliers de fonctionnaires ont suivi des formations pour mieux comprendre les conséquences de cette nouvelle loi. La Commission pour l’égalité des chances et les droits de la personne a lancé des initiatives pour éduquer le public. De son côté, le gouvernement de l’État a recours à des personnalités, dont le commissaire en chef de la police de la région, un comédien, des leaders aborigènes et des politiciens de toutes allégeances pour promouvoir la Charte.
Le message véhiculé par les tenants de la Charte se résume en quatre principes : liberté, respect, égalité et dignité.
L’Australie a bien besoin d’une charte
La société australienne est loin d’être exempte d’inégalité et de discrimination. En effet, la popularité de dépliants d’Ikea et des journaux à potins montre où se situent les priorités. Le matérialisme fait en sorte que la population est plus occupée à consommer qu’à s’intéresser aux tristes sorts des plus marginaux.
Et les exemples sont nombreux au pays du koala. En voici deux.
En juin, la Commission australienne pour l’égalité des chances et les droits de la personne a publié une étude concernant la discrimination envers les gais et lesbiennes. L’étude relatait l’histoire d’une lesbienne qui est morte seule dans un lit d’hôpital ; sa conjointe a été forcée d’attendre dans le couloir parce qu’elle n’était pas membre de sa famille.
À Melbourne en octobre, des tensions raciales ont éclaté après que John Howard, le premier ministre de l’époque, eut affirmé que les réfugiés soudanais ne s’intégraient pas correctement. Des jeunes d’origine soudanaise avaient alors été insultés et menacés d’être renvoyés du pays.
Une charte pour l’ensemble du pays ?
L’Australie demeure un des seuls pays développés ne possédant pas une loi pour protéger les droits de la personne. L’entrée en vigueur le premier janvier de la Charte de l’État de Victoria a relancé le débat pour une initiative similaire au niveau national. Toutefois, dix jours plus tard, ce document engendrait une première controverse. Un trafiquant de drogue australien arrêté en Grèce invoquait la Charte pour empêcher son extradition vers l’Australie afin d’y être jugé. Il soutenait qu’il n’aurait pas droit à un procès juste et équitable s’il est jugé à Melbourne. La Charte stipule que la présomption d’innocence constitue un droit fondamental.
Malgré cette controverse, les États de Tasmanie et celui de l’Australie occidentale préparent des chartes similaires.
Et avec l’élection d’un gouvernement travailliste en novembre dernier au niveau fédéral, ce pays du Commonwealth pourrait enfin avoir une charte nationale dans quelques années. Le procureur général de l’Australie, Robert McClelland, s’est engagé lors de ses premiers jours en poste à mettre sur pied des consultations publiques sur une charte des droits nationale : « Je crois qu’il est bizarre que nous soyons un des seuls pays occidentaux à ne pas avoir de charte des droits. C’est mon opinion. Et nous voulons connaître l’opinion du public à ce sujet. »