Une percée politique conjuguée au féminin pluriel

samedi 1er mars 2003, par Dominique JUTRAS

« Avant, les femmes victimes de violence n’osaient pas aller demander de l’aide à la commune. Depuis que j’ai été élue, plusieurs femmes viennent porter plainte contre leur mari », lance fièrement Kol Sokny la nouvelle chef de la commune de Tratch Tong, au Cambodge. Lors des élections locales en février dernier, elle est l’une des femmes cambodgiennes ayant réussi une percée significative dans l’univers très masculin de la politique de ce pays.

À quelques heures de Phnom Pehn, entouré de vastes rizières, le petit village où habite Sokny compte environ 600 habitants. Il n’y a ni électricité, ni eau courante, ni téléphone, et la route la plus proche est à 10 kilomètres. Au Cambodge, 85 % de la population vit dans des villages semblables à celui-ci, regroupés par commune. En février 2002, les Cambodgiens et Cambodgiennes ont voté pour la première fois depuis 30 ans afin d’élire leurs représentants locaux.

Mère de sept enfants, Sokny est l’une des 34 femmes élues chefs de commune, un nombre remarquable si l’on tient compte du fait qu’il n’y avait auparavant que deux femmes à occuper ce poste dans tout le pays. « J’ai décidé de m’engager pour améliorer la situation des femmes dans ma communauté. Mon mari me soutient, c’est très important : sans son appui, je n’aurais pas pu aller faire campagne dans les villages », raconte Sokny.

Avec le soutien de plusieurs agences d’aide internationales dont UNIFEM, USAID et l’ACDI, l’organisation non-gouvernementale (ONG) cambodgienne Women For Prosperity et trois organisations locales de femmes ont entrepris une vaste campagne de sensibilisation pour promouvoir le rôle des femmes dans la démocratie. En prévision des élections municipales, elles ont organisé des ateliers de formation à travers le pays destinés à encourager les femmes à voter et à se porter candidates aux élections. Résultat : 11 853 candidates se sont présentées dans les 1 621 communes du pays, soit 16 % du nombre total de candidats. Sur ce nombre, 977 femmes ont été élues ; la majorité d’entre elles sont mères de famille et n’ont qu’une éducation de niveau primaire.

Dans une société où les hommes occupent les postes de pouvoir, ces résultats laissent entrevoir une percée pour les femmes. « La société [cambodgienne], en général, pense que les femmes sont faibles, qu’elles ne font que suivre les idées et les décisions des hommes. Mais c’est qu’elles n’ont jamais eu l’occasion d’exprimer leurs opinions. Après la formation, c’est incroyable comment l’attitude des femmes a changé. Elles sont conscientes maintenant de leurs droits et savent que si elles se taisent, les hommes vont continuer à décider pour elles », explique Pok Nanda, directrice de Women For Prosperity.

Depuis les premières élections démocratiques parrainées par l’ONU (à travers le programme United Nations Transitional Authority in Cambodia) en 1993, le Cambodge a vu l’émergence d’un grand nombre d’ONG locales qui travaillent à promouvoir la participation des femmes dans la société. Dans l’ensemble, elles sont mieux représentées dans les ONG qu’au gouvernement où il n’y a que deux femmes au sein du cabinet. Plusieurs facteurs contribuent à éloigner les femmes du pouvoir.

Pour en finir avec la tradition

Traditionnellement, le rôle de la femme est de veiller sur les enfants, travailler aux champs et s’occuper de la maison. Aux yeux de la société, il est normal pour un homme d’utiliser la violence pour « discipliner » sa femme et ses enfants. Selon une étude récente, une femme sur quatre est victime de violence domestique.

« Avant, les femmes se taisaient et souffraient en silence, pensant avoir fait quelque chose de mal dans une autre vie pour mériter cela. Maintenant qu’elles sont informées, ce sont elles qui luttent pour éliminer cette violence », commente Pok Nanda. Grâce au travail des ONG de femmes, un projet de loi spécifique à l’égard de la violence domestique a été soumis au Conseil des ministres en décembre 2002 et Mu Sochua, la ministre des Affaires féminines, en a fait son cheval de bataille.

Au Cambodge, la majorité des mariages sont arrangés. Selon une enquête du Cambodia Demographic and Health Survey, 43 % des femmes mariées ont rencontré pour la première fois leur mari le jour de leur mariage et 78 % n’ont eu aucun droit de regard sur le choix de leur futur époux. Le divorce, qui culturellement a toujours une connotation très négative, est très rare. Les lois concernant le mariage, le divorce et la famille sont parmi les sujets abordés aux ateliers de formation destinés aux candidates élues dans les communes. « Souvent, leur principal obstacle, ce sont les hommes.

Étant souvent la seule femme à siéger au conseil, elles doivent être très déterminées pour faire valoir leurs idées. Nous les appuyons en ce sens », ajoute Pok Nanda.
Le mari de Sokny a été soldat. Comme des milliers d’autres, il a été démobilisé après la réinstauration de la démocratie en 1993. Avec leur petit lopin de terre et le commerce du sucre de palme, ils arrivent tout juste à nourrir la famille et à envoyer les enfants à l’école. Courageuse et déterminée, Sokny avoue trouver son rôle de chef de commune parfois difficile. « Il y a 17 villages dans ma commune, je dois souvent marcher des kilomètres pour aller rencontrer les gens. Mais je suis fière d’avoir été élue et j’espère pouvoir améliorer les conditions des femmes de ma communauté. » Grâce à l’appui d’ONG internationales, Women For Prosperity a distribué une centaine de bicyclettes aux femmes chefs de commune afin de faciliter leur travail. La directrice conclue : « Maintenant qu’elles ont été élues, le plus difficile reste à venir. Nous devons leur fournir les ressources et le soutien moral dont elles ont besoin pour continuer. »
Dominique Jutras, collaboration spéciale


Reportage produit en collaboration avec le gouvernement du Canada par l’entremise de l’Agence canadienne de développement international (ACDI).

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