Depuis presque deux ans déjà, une proposition de loi intégrale contre la violence faites aux femmes est en préparation en Bolivie. Au moment où il est prévu qu’elle soit achevée et prête à être votée, en automne 2009, ce sera la veille des élections et donc d’un possible changement de gouvernement.
Le contexte social
En Bolivie, comme à peu près partout dans le monde, la violence faite aux femmes ne se fait pas au vu et au su de tous ; c’est un acte caché, un acte tabou. La situation est des plus déplorables dans les petites communautés où souvent, les seules solutions pouvant être envisagée par les femmes est soit de se défendre, avec tous les risques que cela comporte, soit subir pour ne pas se retrouver dans l’indigence, avec toutes les conséquences qui s’en suivent.
Dans une société où la femme est souvent considérée comme une mineure, beaucoup ne connaissent pas leurs droits et les recours existants, aussi limités soient-ils. Quand une femme, particulièrement celle d’un milieu rural, témoigne de la violence qu’elle vit, elle se sent aussitôt contrainte d’ajouter que son mari est dans son bon droit.
Peu de données officielles sur ces actes sont enregistrées et celles qui existent donnent peu de détails qui permettent de se faire une idée de la réalité. Par exemple, l’Instituto Nacional de Estadística de Bolivie fait état de seulement deux séries de données relatives à la question : 1) le nombre de femmes et d’hommes ayant reçu des soins dans les établissements de santé pour cause de violence physique et sexuelle
(5 038 femmes et filles en 2005 comparativement à 2 630 en 2000) et 2) le nombre de dénonciations aux autorités de cas de violence domestique et familiale, sans précision quant au sexe et à l’âge de la victime, ni de ceux de l’agresseur (52 153 cas en 2005 en comparaison à 43 107 en 2000). Ces données démontrent toutefois une recrudescence des cas rapportés par les établissements de santé et des dénonciations aux autorités.
Des changements nécessaires
C’est ce constat d’un problème s’aggravant qui a mené le mouvement des femmes à réviser la législation de l’État en matière de violence. Ce faisant, on a pu mettre à jour le manque d’adéquation entre cette législation et la défense du droit des femmes à vivre sans violence. Depuis son approbation en 1995, l’instrument juridique le plus utilisé en Bolivie pour défendre les femmes victimes de violence, est la Loi contre la violence familiale ou domestique (Loi 1674). Il est à noter que le titre de la loi renvoie aux mêmes termes utilisés dans le cas de la compilation des parcimonieuses statistiques existant à ce sujet et qui ne fait pas référence à la violence envers les femmes comme telle.
De plus, les organisations de femmes constatent que la Loi 1674 est peu appliquée. Il y a rarement un suivi aux dénonciations et peu de condamnations. Les sanctions les plus fortes étant d’avoir à payer une amende. En milieu rural, là où vit plus du tiers de la population, la situation est encore plus grave du fait que toutes les lois y sont bafouées et fort peu appliquées.
Une loi intégrale pour répondre à un problème complexe
Il y a environ deux ans, la Table nationale contre la violence faites aux femmes, coordonnée par AMUPEI* et composée de représentantes d’organisations et de femmes que la question préoccupe, se sont attelées à la difficile tâche de proposer au parlement bolivien un texte de loi en vue de son adoption. Le souhait de la Table est d’élaborer une loi intégrale, c’est-à-dire une sorte de "loi parapluie" qui couvrirait l’ensemble des textes juridiques qui touchent la question de la violence faite aux femmes. Le caractère intégral de la loi vise aussi à mettre en place les balises pour prévenir et sanctionner la violence envers les femmes dans tous les milieux où des violences ont été enregistrées et visant les femmes en particulier : la famille, l’éducation, le travail, les communications et la publicité, la politique, le système de santé et les organismes publics.
Quoique la majorité des cas de violence envers les femmes signalés soit conjugale, la coordonnatrice d’AMUPEI, Maria Teresa Soruco, affirme que la violence envers les femmes s’exerce dans bien d’autres environnements. Pour donner un aperçu, elle relate que les femmes en politique sont souvent victimes de violence, comme forme de pression pour qu’elles changent leur décision, pour leur nuire dans leur fonction ou tout simplement pour qu’elles abandonnent leur poste. Au niveau de la politique municipale, l’Association des conseillères municipales de Bolivie a enregistré, de 2000 à 2005, 117 dénonciations de violences subies par des mairesses ou des conseillères. Aucune condamnation n’a été prononcée et plusieurs politiciennes ont effectivement abandonné leur poste.
De plus, avec une population majoritairement indigène, la Table se préoccupe d’inclure la dimension interculturelle et ethnique qui prévaut en Bolivie. Dans une société où le clivage entre les riches et les pauvres est énorme, où les gens du milieu rural et du milieu urbain vivent une réalité nettement différente et où le racisme envers les autochtones demeure un grand problème, un tel objectif représente un grand défi.
Situation politique favorable
Le contexte politique actuel est très favorable au mouvement des femmes et à la dimension culturelle. Toutefois, cela risque de changer d’ici à ce que la Table soit en mesure de présenter sa proposition au parlement, l’Honorable congrès national. En effet, un tel projet demeure laborieux ; ce processus nécessite du temps afin de procéder aux multiples consultations nécessaires et pour arriver à un consensus ralliant l’ensemble des organisations et des institutions concernées par la question et ce, dans chacun des départements du pays. Un échéancier réaliste indique qu’au mieux un document sera prêt à présenter au Parlement à l’automne 2009, soit au moment même où des élections nationales sont prévues, début décembre. Par conséquent, la Table devra analyser s’il est plus propice d’attendre après les élections tout en courant le risque que le contexte soit alors moins favorable.
Une fois la loi adoptée, un travail important restera encore à faire pour que son application prenne effet. Dans un pays où la corruption est encore chose courante, où la place des femmes et la valeur de leur travail sont encore souvent dépréciées, une panoplie de programmes de sensibilisation aux autorités, de soutien aux femmes violentées, de prévention devraient être mis en place. Comme la Bolivie bénéficie de peu de ressources, l’ouverture du gouvernement face à l’amélioration des conditions de vie des femmes ne se traduit pas nécessairement par des investissements financiers. Les Boliviennes devront donc encore compter sur la collaboration des pays du Nord, par le moyen de la coopération internationale, par exemple, pour arriver à ce que la loi ne soit pas qu’une déclaration de bonnes intentions.
*AMUPEI (Articulación de Mujeres por la Equidad y la Igualdad), un réseau national qui lutte pour l’équité et l’égalité des femmes, a pris forme suite à la Quatrième Conférence mondiale de l’ONU sur les femmes, à Beijing, en 1995. C’est le résultat de la concertation du mouvement des femmes bolivien désireux de renforcer ses liens et son pouvoir d’influence et de se doter d’une structure rassembleuse de toutes les Boliviennes. Ce réseau est actuellement constitué de 13 comités ruraux et urbains qui couvrent les neuf départements du pays. En tout, il représente plus de deux cents organisations et parle au nom des milliers de Boliviennes qui en font partie. AMUPEI agit comme instrument politique pour véhiculer et faire connaître les revendications communes des femmes, principalement aux élus. Actuellement, ses principaux dossiers sont les revendications en matière de politiques publiques pour les femmes et l’agenda législatif, où on retrouve le dossier de la Loi contre la violence faite aux femmes. L’élaboration d’une proposition de politique publique pour l’accès à l’eau qui tienne compte des femmes a aussi été un dossier majeur ces dernières années et beaucoup d’énergie est mis présentement sur la mise en place d’une école de leadership au féminin.