Entrevue avec Léonie Tchatat

Une force de la nature

dimanche 1er septembre 2002, par Daphnée DION-VIENS

Lorsqu’elle est arrivée au Canada, elle n’avait qu’une envie : « brasser la cage » de sa nouvelle société d’accueil. Dix ans plus tard, Léonie Tchatat a réussi son pari.

« Je suis partie du Cameroun pour faire des études universitaires et avoir une vie meilleure. Mais une fois arrivée ici, je me suis rendu compte que ce n’était pas aussi facile », raconte cette jeune femme débarquée à Toronto à l’âge de 16 ans, en pleine crise d’adolescence.

À l’école secondaire francophone qu’elle fréquente, elle ne réussit pas à s’intégrer comme elle le voudrait : « Il n’y avait pas de structure d’accueil ou d’intégration pour les nouveaux arrivants. J’ai commencé à fréquenter les autres étudiants africains, mais ce genre de ghetto ne fait qu’empirer la situation. »

Elle rêve de devenir journaliste. Pour dénoncer et lutter contre les injustices sociales. Malgré son énergie débordante et une détermination capable de soulever des montagnes, elle se heurte à des portes closes. « Il y avait beaucoup de discrimination à l’école en matière d’orientation scolaire. On disait aux étudiants africains de choisir des métiers professionnels tandis qu’on conseillait aux Canadiens d’origine de poursuivre les études universitaires », se rappelle-t-elle. Faute d’argent et d’encouragement, elle met ses projets d’études de côté. Lorsqu’elle a voulu se dénicher un premier emploi, elle réalise qu’elle est « quadruplement défavorisée », étant « jeune, femme, noire et francophone ».

En colère

« J’étais très en colère, raconte Léonie, qui n’a rien perdu de son caractère enflammé. « Je me disais que si j’étais au Canada, c’était pour vivre adéquatement et je n’acceptais pas d’être défavorisée par rapport à mes copines blanches d’origine canadienne. Je voulais que ça change. »

La petite révolution de Léonie a commencé le jour où elle a décidé qu’elle en avait assez : « Un matin, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose. Je voulais raconter tout haut ce que je vivais tout bas ». Elle s’est fait porte-parole d’un groupe d’étudiants africains et est allée rencontrer la direction de l’école pour discuter de leurs problèmes .

À partir de ce moment, tout à commencer à débouler tranquillement. En s’engageant au sein de différents organismes, Léonie apprend à découvrir le monde communautaire et réalise qu’elle peut vraiment faire une différence. À coup de projets multiples et d’expériences nouvelles, elle réussira à faire sa place. La jeune Camerounaise d’origine dirige aujourd’hui le Centre des jeunes francophones de Toronto, fait partie d’un comité national sur l’immigration et était de la délégation canadienne qui s’est rendue à Durban l’an dernier dans le cadre de la Conférence mondiale des Nations unies contre le racisme.

« J’ai appris énormément en participant à la Conférence de l’ONU. Mais je suis déçue du résultat, surtout en terme de suivi. Il y a eu des recommandations, mais on attend toujours les applications concrètes des engagements pris par le gouvernement canadien ». Quand on lui demande si on parle assez d’immigration et de racisme au Canada, elle répond sans hésiter : « On en parle de plus en plus, mais ce n’est pas encore assez. Il faut faire mieux ».

Taloua

Taloua est la réalisation dont elle est la plus fière. En janvier 2002, Léonie lançait le premier numéro d’un magazine féminin francophone « qui sort des sentiers battus ». Taloua - qui signifie « jeune fille » en langue agni de Côte-d’Ivoire - se veut un moyen de communication, d’échange et d’intégration pour les jeunes femmes issues des communautés multiculturelles. Dans le premier numéro, un dossier intitulé « Manipulatrices ou victimes ? » dresse un portrait troublant d’un problème important : la prostitution de jeunes immigrantes.

« Je veux donner une voix à celles qui n’ont pas la chance de s’exprimer et offrir un modèle de talent et de réussite », explique Léonie. L’équipe de Taloua est composé de pigistes répartis aux quatre coins du monde et d’une dizaine de jeunes femmes qui ont pu ainsi faire valoir leur talent.

Parce que le plus grand problème auquel sont confrontés les nouveaux arrivants, selon Léonie, est la reconnaissance des acquis lorsque vient le temps de dénicher un emploi. « Les employeurs exigent une expérience professionnelle canadienne. C’est une expression qui revient tout le temps, comme un obstacle. »

Entre ses mille et un projets, Léonie trouve aussi le temps de retourner régulièrement au Cameroun. Elle y donne des formations et des conférences aux gens qui songent à venir s’installer au Canada . « L’aspect international m’intéresse de plus en plus. Je suis persuadée que si un bon travail d’information est fait dès le départ, l’intégration des immigrants sera plus facile. »

Et est-ce qu’elle se sent maintenant chez elle, dans son pays d’adoption ? « Je suis canadienne, mais je me sens aussi africaine. Ce sont mes origines et mes valeurs qui me permettent de continuer. Mais il faut que je me sente canadienne pour améliorer mon sort et celui des autres. Je suis venue ici pour ça, pour faire ma place. »

Daphnée Dion-Viens, assistante à la rédaction, journal Alternatives

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