Une autre approche est possible, mais pas une taxe sur le savoir

jeudi 7 juin 2012, par Simon-Pierre Chevarie-Cossette

Dans une lettre d’opinion envoyée au Devoir le 31 mai, Bernard Landry proposait une alternative à la hausse des droits de scolarité : l’impôt postuniversitaire et la gratuité scolaire. Il est toujours agréable qu’un ancien chef d’État prenne la peine de réfléchir à l’avenir de la société qu’il a si longtemps contribué à bâtir. Cela est plutôt rafraîchissant, après l’attitude de M. Charest dans le dossier étudiant. Cela dit, M. Landry semble faire fausse route sur plusieurs aspects de sa réflexion.

Contre le rejet naïf de la désobéissance civile

D’abord, la simple affirmation de M. Landry, selon laquelle « évidemment […] la désobéissance civile […] ne sied aucunement à la situation actuelle ni à notre univers démocratique », affirmation qui fait écho à la déclaration du ministre Fournier, aurait mérité une réponse. On ne peut naïvement invoquer « l’évidence » dans le cas présent alors que la désobéissance civile pacifique a été théorisée (H. D. Thoreau) pour toutes les sociétés. Une société réellement démocratique est précisément celle où l’on peut désobéir pacifiquement sans craindre pour son intégrité physique, quoiqu’en pense le SPVM. Dans la situation où autant les pouvoirs exécutif, que législatif, juridique et même médiatiques sont sur une même longueur d’onde pour nier le droit aux associations de voter démocratiquement une grève effective, la désobéissance aux injonctions paraît nécessaire. Sinon, l’on dit adieu à tout moyen de pression étudiant, et conséquemment l’on abdique dans la lutte contre la hausse des droits de scolarité. Dans la situation où une loi (78) entrave à la fois les droits d’association et de liberté d’expression, la désobéissance civile pacifique, comme les « manifestations de casseroles », n’est certainement pas une « dérive anarchique ». Désobéir impunément, publiquement et pacifiquement à une loi permet d’en étaler toute l’absurdité en toute légitimité morale.

Pour la gratuité scolaire intégrale, sans impôt postuniversitaire

L’essentiel de l’article de M. Landry concernait une solution de financement aux universités que l’on nomme couramment l’impôt postuniversitaire (IPU). M. Landry croit que l’IPU est une solution à privilégier qui découle de quatre prémisses : 1) l’éducation jusqu’à la limite des talents et de la volonté d’un individu constitue un droit fondamental ; 2) l’éducation doit être une priorité collective absolue ; 3) certaines formations universitaires assurent plus de revenus que d’autres ; 4) les enfants des plus riches profitent plus du bas niveau de nos droits de scolarité que les autres.

Or, l’IPU combiné à la gratuité n’est pas une façon « d’assurer une paix durable à l’avenir », car ce mode de financement n’est pas conforme aux prémisses ou « constations irréfutables » de M. Landry. En fait, les deux premières prémisses nous guident tout droit vers la gratuité scolaire complète et sans équivoque : elle est une condition nécessaire à une accessibilité maximale. C’est l’ajout de la quatrième prémisse qui ouvre la porte à l’IPU, selon M. Landry : comme une grande accessibilité économique au système bénéficie aux plus riches, les étudiants ayant un bon salaire devraient rembourser le coût de leurs études. Comme les formations apportent des salaires inégaux (3e prémisse), il ne faut pas hausser les frais de scolarité, mais instaurer l’IPU. Ce raisonnement recèle plusieurs problèmes.

1. Du fait qu’une université accessible profite davantage aux riches diplômés, on ne saurait déduire qu’il faut qu’ils soient spécialement imposés davantage. En effet, il n’est aucunement dans la nature d’une institution comme l’université (ou l’hôpital) d’assurer une redistribution de la richesse. Une telle redistribution y sera toujours imparfaite parce qu’il existera toujours bel et bien des étudiants dont les parents seront riches et qui ne bénéficieront pas de leur aide. Seuls les impôts (et les taxes, dans une moindre mesure) s’avèrent des outils efficaces, quoique corrigibles, de redistribution. D’ailleurs, il faudrait endosser un principe naïf de « bénéficieur-payeur » pour accepter l’IPU. Je dis naïf parce que nous savons très bien que c’est toute la société québécoise qui est la bénéficiaire de l’instruction de ses citoyens. L’imposition sur le revenu est un moyen de faire payer les plus riches beaucoup plus approprié puisque ce sont ceux qui ont les moyens – en vertu de ce fait et non en vertu du fait que leurs enfants fréquentent l’université – qui paieront davantage. Remarquons toutefois que la gratuité scolaire n’a pas à être financée par une augmentation de l’imposition des particuliers. La mise en place d’une taxe sur le capital des institutions financières, entreprises difficilement délocalisables et très en moyens, pourrait être une avenue intéressante pour le financement de nos universités.

2. L’instauration de l’IPU constitue bel et bien un frein à l’accessibilité aux études et contredit en ce sens la première prémisse de M. Landry, car il s’agit d’une « punition » aux études. Le message suivant est envoyé aux citoyens : celui qui aura réussi à faire fortune sans aller à l’université pourra verser moins d’impôts. On voit ici que le rôle de l’éducation est réduit à celui d’assurer un emploi, puisque ce qui est souhaité du citoyen, c’est qu’il achève ses études le plus rapidement possible. Si vous pouvez être infirmier sans aller à l’université, faites-le ! Si vous pouvez devenir entrepreneur sans diplôme, lancez-vous ! Il est surprenant de voir que M. Landry puisse proposer l’IPU alors qu’il est lui-même bien conscient que de « profondes raisons sociologiques » empêchent certains citoyens d’aller à l’université, et ce, même s’ils en ont les moyens économiques. Pour que l’éducation soit effectivement accessible à ces gens-là, il faut qu’elle soit non seulement gratuite, mais encouragée indépendamment des débouchés économiques qui lui sont rattachés.

3. L’instauration de l’IPU contredit la volonté de faire de l’éducation une « priorité collective absolue ». En effet, elle présuppose que l’individu va à l’université d’abord et avant tout pour se trouver un travail directement lié à ses études, car on module son revenu par rapport au coût de ses études. J’ai un ami de 27 ans qui, il y a trois ans, a décidé de retourner à l’université à temps partiel parce que, voyant sa petite fille grandir et apprendre, il a eu le goût de l’imiter. Il a eu envie de partager de nouveaux savoirs avec elle. Initialement, il n’était ni question d’abandonner son emploi de menuisier, ni d’en devenir un meilleur grâce à ses études (il suivait des cours de mathématiques, de grammaire et de latin). C’est ce profil type d’individu qu’on pointe du doigt avec l’IPU. Au final, la « priorité collective absolue » que M. Landry voudrait qu’on accorde à l’université n’est plus que relative. Relative aux emplois créés par l’université, relative à l’utilité économique de celle-ci. Cette vision instrumentaliste ou entrepreneuriale de l’université, plusieurs (dont moi-même dans Étudier pour Étudier, 23 février 2012) l’ont décriée dans les pages du Devoir (Seymour, Nadeau, Rocher).

Il ne faudrait pas nier l’effort de M. Landry de trouver une avenue qui constituerait un gain pour la justice sociale par rapport à la situation actuelle. Il fait déjà infiniment mieux que Jean Charest dans son obtuse allocution où il réduisait le droit à l’éducation à l’accès aux locaux de l’université et du Cégep. Cependant, il est impératif de prendre garde à ne pas tomber dans le piège que nous tend l’économie du savoir – considérer l’université comme un moteur économique et un producteur de diplômes d’abord et avant tout – piège dans lequel Jean-François Lisée, Guy Breton et Bernard Landry sont tombés jusqu’à présent.


Simon-Pierre Chevarie-Cossette est président de l’Association de philosophie de l’Université de Montréal.

Crédit photo : Pascal Dumont.

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