Juana Mendez est une indigène maya, pratiquement unilingue quiché, analphabète, mère de 11 enfants et qui vit sous le seuil de la pauvreté en milieu rural. En décembre 2004, à la suite de la découverte de plantes d’opium près de sa maison, Juana est arrêtée et emprisonnée arbitrairement – la poursuite sera ensuite abandonnée faute de preuves. Un mois après son arrestation, Juana est emmenée au poste de police régional de Nebaj dans la province du Quiché, où elle doit passer la nuit avant de faire sa première déclaration en cour le lendemain. Durant cette nuit, au moins deux policiers en état d’ébriété l’agressent sexuellement et l’humilient, la menaçant de mort pour s’assurer de son silence.
Le lendemain, malgré les menaces, Juana s’empresse de dénoncer les faits. Plus de trois ans plus tard, en février 2008, après une enquête marquée par des attaques et de l’intimidations envers les gens impliqués dans cette affaire, le procès débute enfin. Un policier est accusé de viol avec circonstances aggravantes et d’abus d’autorité. Le 16 avril 2008, pour la première fois, un agent de la Police nationale civile est déclaré coupable du viol d’une détenue. Ce policier est condamné à 20 ans de prison. Par contre, l’autre agent accusé est toujours en fuite.
Phénomène généralisé
L’agression subie par Juana Mendez est commune, puisque environ trois femmes emprisonnées sur quatre au Guatemala sont victimes de sévices sexuels commis par des policiers ou des gardiens de prison. Même si près de la moitié des victimes dénoncent ces abus, aucun agent policier n’avait été poursuivi pour avoir violé une détenue avant 2007.
L’impunité généralisée qui existe au Guatemala s’applique à l’ensemble des violations des droits des femmes et contribue à ce qu’elles perdurent. Moins d’un pour cent des assassinats de femmes débouchent sur un procès et seulement 60 % des cas font l’objet d’une enquête. De plus, les difficultés d’accès à la justice sont accentuées lorsque les victimes sont issues de communautés mayas, pauvres et rurales.
Depuis plusieurs années, le Guatemala occupe le premier rang des Amériques en matière de féminicide. Le Centre pour l’action légale en droits humains (CALDH) définit ce terme comme « une combinaison de violations répétées et systématiques des droits des femmes et d’un état de violence misogyne, qui se traduit par des agressions, des attaques, des mauvais traitements, et dont la forme extrême est l’assassinat cruel de la femme ». Depuis 2001, environ 4 000 femmes, sont mortes d’actes de violence. La majorité des victimes montrent des signes de torture et/ou d’agression sexuelle.
Le féminicide et l’impunité sont l’héritage du conflit armé interne (1960-1996). Au cours de cette période, selon la logique anti-insurrectionnelle et génocidaire de l’État guatémaltèque, les femmes mayas étaient considérées comme ennemies à cause de leurs rôles dans la reproduction physique et culturelle de la société maya. Les victimes, mortes ou vivantes, ont dans la plupart des cas subi des tortures de nature sexuelle. La majorité de ces agressions impunies ont été commises par l’armée guatémaltèque.
Juana Mendez a démontré une force hors du commun en menant sa lutte pour la justice pendant trois ans. Ses efforts ont finalement provoqué une brèche considérable dans l’impunité. « Je veux que justice soit faite dit-elle. Je ne veux qu’aucune autre femme vive ce que j’ai vécu, car c’est une injustice. ».
Les multiples organisations de femmes qui ont appuyé Juana espèrent aussi que ce procès et ce verdict contribueront à briser l’impunité. Dans un pays où la violence contre les femmes est si prononcée, c’est un précédent décisif. Mais il ne pourra mener à un changement réel sans une volonté concrète de l’État guatémaltèque, qui pour l’instant n’assume pas suffisamment ses responsabilités afin d’améliorer le respect des droits des femmes et l’exercice de la justice.