À six heures de route d’ici - à condition de ne pas se perdre dans la vaste et morne banlieue industrielle du New Jersey - se trouve cette ville mythique de New York. Une ville blessée, en quelque sorte, depuis le 11 septembre 2001. J’y suis passé tout récemment, et j’y ai trouvé une culture métissée remarquable qui dépasse de loin nos idées sur la mentalité américaine actuelle.
Dans la fièvre de la Coupe du monde, je suis passé par la petite Italie. Moment d’angoisse pour les Italo-Américains : devaient-ils prendre pour l’Italie ou les États-Unis dans le match qui mettait en vedette les deux équipes ? Leur identité oscillait... Mais certains s’en foutaient, comme cette serveuse de chez Rocky’s, seul resto sans télévision d’ailleurs. Le foot la laissait indifférente, et, plus encore comme elle m’a confié, « Je ne supporte plus Frank Sinatra. » Elle a été doublement contente de remplacer sur son lecteur CD le vieux Frank par le nouveau album de Cat Power, The Greatest, fraîchement sorti, et acheté chez Other Music.
Parmi les temples du jazz, il y a le Vanguard Village. Dans une salle surchauffée comme d’habitude, j’ai vu se produire Guillermo Klein et son groupe, Los Guachos. Onze musiciens qui créent une musique indéfinissable. Est-ce du jazz ? On s’en fout, c’est brillant : avis au Festival du jazz de Montréal pour leur édition de 2007 !
À l’International Center for Photography, j’ai rencontré Weegee, photojournaliste on ne peut plus new-yorkais. Pendant que l’Amérique faisait la guerre au fascisme dans les années 1940, Weegee arpentait les rues de New York à documenter les émeutes raciales de 1943, à photographier ce gangster assassiné sur le trottoir, dont la cigarette n’était toujours pas éteinte alors que le fumeur l’était. On l’a surnommé « Weegee » car, tout comme la planche Ouija, il savait ce qui allait se passer avant les autres. Surtout avant la police.
Dans toutes les galeries, la photographie est servie à toutes les sauces.. J’ai vu les clichés trop parfaits d’enfants de Loretta Lux. Cette artiste manipule ses images par ordinateur afin d’exalter la souffrance des victimes de pornographie infantile. Ailleurs, il y a les créations du taggueur et photographe brésilien Alexandre Orion, qui fait des graffitis pour ensuite photographier des passants qui, sans le savoir, « créent » des tableaux en passant devant.
Et que dire de Laurie Anderson, cette artiste multimédia qui s’est produite gratuitement dans le Prospect Park, à Brooklyn ? Vedette internationale un peu comme Robert Lepage, elle a déjà été l’artiste officielle de la NASA. Elle a embauché trois chanteurs de gorge de Tuva, une région à cheval entre la Mongolie et la Russie, pour faire des trames sonores pour elle. Cette pratique chez les compositeurs occidentaux, qui consiste à chercher l’exotisme dans le folklore des autres, pourrait nous laisser songeurs à propos de la world music.
C’est une ville de musique, New York. Le big band qu’on pourrait savourer dans le métro au Grand Central Station est supérieur à ce qu’on pourrait entendre dans plusieurs boîtes. Et dans Central Park, pour lancer leur saison les programmeurs n’ont pas peur de mettre une sorte de jazz électronique hostile à l’oreille.
C’est à se demander où se trouve la vraie Amérique : dans les rues de New York ou les corridors du Pentagone ? C’est une question, qu’on se pose d’ailleurs depuis quelque temps déjà.