Nous sommes à Budapest, printemps 2000. De jeunes activistes hongrois viennent de créer l’ONG Protéger le Futur. Ils discutent à bâtons rompus et l’un d’eux propose de créer une institution qui serait le porte-voix des « exclus des exclus » de la représentation démocratique : les générations futures. Les mesures prises pour nos sans-abri et nos sans-papiers sont dérisoires. Mais plus rares encore sont celles visant à nous mettre à l’écoute de ceux qui ne sont pas encore nés. Ils pourront certes s’exprimer plus tard. Mais ce sera souvent trop tard, parce que certains de nos actes auront déjà déployé des conséquences irréversibles ou parce que nous ne serons simplement plus là pour les entendre.
C’est Laszlo Solyom, alors membre de Protéger le Futur — devenu depuis le président de la République —, qui se charge de préparer une proposition de loi. Introduite au parlement dès 2001, elle ne fut adoptée qu’en 2007. Ce ne fut d’ailleurs pas la fin de ses péripéties, le président ayant dû s’y prendre à quatre reprises pour que le parlement hongrois accepte finalement le candidat proposé. Le 26 mai, le juriste Sándor Fülöp est devenu le premier ombudsman hongrois des générations futures.
Une première mondiale
Cette institution est unique au monde. Un certain nombre de constitutions inscrivent certes dans leur texte une préoccupation pour les générations futures, assortie dans de rares cas de la reconnaissance de droits. Par contre, les institutions qui y sont spécialement dédiées se comptent sur les doigts d’une main et elles demeurent différentes du cas hongrois. Le parlement finlandais dispose ainsi en son sein depuis 1993 d’un comité pour le futur. Et la Knesset israélienne a mis en place en 2001 une commission parlementaire pour les générations futures — une expérience qui a cependant pris fin en 2006.
Mais ce qui frappe dans le cas hongrois, c’est le caractère relativement étendu des pouvoirs conférés à l’ombudsman. Il peut demander à des particuliers de mettre fin à des activités menées en violation du droit de l’environnement. Il peut adresser des recommandations à diverses autorités publiques qui sont tenues d’y répondre sur le fond dans les trente jours. Il peut aussi initier des procédures de supervision concernant les décisions d’une administration publique. Il peut à cet égard « initier des mesures de suspension d’exécution, et peut prendre part à des procédures juridictionnelles ». Sur plusieurs de ces points, le commissaire de la Knesset, organe le plus abouti à ce jour dans ce domaine, ne disposait pas de pouvoirs aussi étendus.
Cette nouvelle institution hongroise s’expose cependant aussi à des écueils qu’il importera de lever. D’abord, l’ombudsman sera très seul. Pas uniquement parce qu’il n’agit pas comme membre d’une commission – contrairement au cas israélien. Mais surtout parce qu’il ne peut interroger ni être contredit par les générations futures qu’il représente. Par conséquent, seule une vision d’ensemble, informée par une idée claire de ce qu’exige la justice intergénérationnelle, et capable de « percoler » auprès de l’ensemble des acteurs de la société hongroise, pourra guider l’action de Sándor Fülöp et en assurer l’efficacité. Il devra non seulement s’imaginer le monde dans lequel les personnes futures pourraient avoir à vivre. Mais, en plus d’être un bon futurologue, l’ombudsman devra aussi déterminer non pas tant ce que les générations futures pourraient souhaiter, mais plutôt ce qu’elles seraient en droit d’exiger de nous.
L’autre difficulté a trait à la compétence matérielle de l’ombudsman. La loi met l’accent sur la protection de l’environnement. Sándor Fülöp devra donc examiner si le texte de son mandat lui laisse la latitude suffisante pour se construire, au fil de ses interventions, une compétence plus vaste. À défaut, il est clair que même si sa mission devait se limiter au champ strictement environnemental, il faudra qu’il l’accomplisse en ayant constamment en tête les interactions possibles avec d’autres dimensions non environnementales de nos obligations intergénérationnelles. Pensons au financement des retraites, à l’état de la dette publique, à l’évolution des régimes de santé ou à celle des systèmes d’éducation.
On le voit, l’ombudsman pourrait se retrouver à la fois trop seul et trop à l’étroit. Si le succès n’est pas garanti, le défi n’en reste pas moins exaltant.