Un éditeur, le coeur engagé

vendredi 24 octobre 2003, par France-Isabelle LANGLOIS

Issu de la génération de Mai 68, militant de la première heure des luttes révolutionnaires qui ont marqué l’époque, François Gèze est aujourd’hui un homme d’affaires à la tête des éditions La Découverte. Une autre façon de continuer le combat.

Les éditions La Découverte fêtent cette année leur vingtième anniversaire. Pourtant, à y regarder de plus près, elles ne sont pas si jeunes. En fait, elles ont été fondées en 1959 par François Maspero et avaient jusque-là porté le nom de leur fondateur. En 1982, Maspero, épuisé, se cherche un successeur qu’il trouve en François Gèze. Il lui demande de prendre le relais mais de changer le nom de la maison. Les éditions La Découverte sont nées.

Les deux hommes s’étaient connus des années auparavant, comme militants. François Gèze venait tout juste d’entamer sa « carrière de militant » à la suite de Mai 68. Il avait intégré le Cedetim, le Centre d’études anti-impérialistes, devenu le Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale, fondé notamment par Gustave Massiah, qui est toujours au poste, mais également vice-président d’ATTAC France.
Au Cedetim, dans les années 1960 et 1970, les luttes, les combats, les discussions et les débats sont empreints d’anti-colonialisme, de libération et de révolution des peuples. On s’en doute, l’Algérie occupe une immense place, vient ensuite la France-Afrique. Pour sa part, le jeune révolutionnaire qu’est alors l’éditeur de La Découverte est surtout marqué par l’Amérique latine. Ingénieur et journaliste de formation, le « camarade » s’investit dans la formation d’un comité de soutien à la lutte révolutionnaire au Chili et d’un comité de soutien au peuple argentin. Il passera ensuite un an et demi en Argentine.

« Nous étions la nouvelle génération, après l’Algérie, souligne François Gèze. La France néocoloniale était au cœur de notre action, nous agissions en solidarité avec toutes les luttes de libération : l’Angola, la Palestine… »

Écarts gauchistes

Mais le militant, intellectuel critique, a de plus en plus de mal à supporter les écarts de ses amis gauchistes. Il participe à la création du quotidien Libération, en 1973, mais il s’impatiente vite de la tendance un peu trop narcissique de ses coéquipiers maoïstes.

Depuis qu’il a repris le flambeau de La Découverte, la même rigueur est de mise. « Engagé oui, mais militant non », précise l’éditeur. « Il ne s’agit certes pas de faire de l’édition pour de l’édition, mais on ne sera pas le relais, la courroie d’un mouvement. » Il dit avoir eu la chance d’être engagé très jeune par le Cedetim, qui, pour être identifié à l’extrême-gauche, n’a jamais été dogmatique.

Pour François Gèze, le terme « gauchiste » renvoie aux mouvements de ses jeunes années. Des mouvements qui, selon lui, étaient complètement coupés de la société. « Aujourd’hui, les nouveaux mouvements sont dans la société. » Il fait ici référence aux mouvements altermondialistes. « Une nouvelle génération qui s’intéresse au monde, mais qui est aussi fragile et parfois simpliste, qui peut avoir une vision très manichéenne. » Ce qui n’a pas empêché l’éditeur de publier José Bové.

Lorsqu’il prend la relève de Maspero, l’édition va de mal en pis. « C’était la fin d’une époque idéologico-politique. Le reflux a été d’une extrême brutalité sur tous les secteurs en France. Et ça s’est traduit sur le monde de l’édition : il n’y avait même plus d’auteurs pour fournir. » C’est seulement à partir de 1994 que le vent a commencé à tourner, avec, entre autres, l’insurrection zapatiste, note celui qui « revendique toujours le cœur de l’engagement de François Maspero ».

Mais financièrement, c’est la galère, et en 1998, La Découverte est placée devant un choix difficile : cesser d’exister, ou accepter d’être rachetée par la multinationale Vivendi. La deuxième solution est retenue et François Gèze est plus que jamais convaincu d’avoir pris la bonne décision. « Cinq ans plus tard, nous n’avons subi de pressions éditoriales d’aucune sorte. Ça se passe très bien. Ce qui compte, ce sont les bouquins. »

De fait, cela n’a pas empêché la maison, engagée socialement, de poursuivre sa mission, question de donner les moyens de comprendre le monde avant de le changer. Parfois, des succès de librairie, dont l’inattendu Sale Guerre de Habib Souaïdia. Un témoignage dérangeant de l’implication de l’armée algérienne dans les événements sanglants que connaît ce pays depuis 12 ans.

France-Isabelle Langlois


Bas de vignette photo : François Gèze dans son bureau de Paris.

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