La cause, techniquement parlant, est une surabondance de grains de café sur le marché mondial, laquelle a entraîné une chute des prix. Les prix d’exportation ont récemment atteint le plus bas plancher, en dollars américains, depuis plus d’un siècle.
Les producteurs de café, pour la plupart de petits actionnaires, vendent présentement leurs grains pour beaucoup moins qu’il n’en coûte pour les produire. Un rapport d’Oxfam international prévient que le gagne-pain de 25 millions de petits producteurs est menacé : « Les familles qui dépendent des revenus générés par le café retirent leurs enfants (particulièrement les filles) de l’école, n’ont plus les moyens de s’offrir les médicaments de base et doivent couper dans la nourriture. »
Mais peu de gens qui sirotent leur café au lait ou espresso sont conscients de la crise. Comment pourraient-ils être au courant ? Peu de choses ont changé pour les consommateurs. Les prix de Maxwell House, Nescafé, Folgers et French Roast ont légèrement baissé, ou pas du tout.
« Les multinationales font des tonnes d’argent », affirme une productrice de café brésilienne, Blanca Rosa Molina, invitée au Canada par Oxfam. « Mais nous recevons moins que jamais. » Il y a cinq ans, la coopérative de Mme Molina vendait ses grains de café biologiques 1,80 dollar américain la livre. Aujourd’hui, une livre de café vaut environ 50 cents.
Dans la région de Matagalpa, au nord du Nicaragua, où vit Mme Molina, plus de 40 plantations de café ont fait faillite ou ont cessé de produire. Six milles travailleurs du café et leurs familles campent dans des abris de fortune le long des routes et des parcs municipaux, mendiant de la nourriture et de l’aide aux passants. Presque la moitié des enfants, femmes enceintes et personnes âgées de la région souffrent de malnutrition. Blanca Rosa Molina affirme qu’à la fin de septembre, 120 travailleurs du café sans emploi et membres de leur famille sont morts de faim dans la région de Matagalpa. « On voit des enfants mourir de faim sur le bord des autoroutes » dit-elle.
Au Guatemala, la crise a privé 70 000 personnes de travail et fait grimper le niveau de chômage à 40 %. La débâcle du café a fait chuter l’économie nationale de certaines des nations les plus pauvres à un niveau critique. À travers l’Afrique, où| se concentrent des pays déjà accablés par les dettes, la sécheresse et les maladies sont sur le point de provoquer un nouveau désastre.
Les pays en développement recevaient 10 milliards de dollars pour leurs exportations de café il y a quelques années à peine. Aujour-d’hui, ils reçoivent un peu moins de la moitié de cette somme, selon le directeur exécutif de l’Organisation internationale du café (OIC), Néstor Osorio. Au Burundi, par exemple, le café compte pour près de 80 % du total des exportations ; en Éthiopie, c’est près de la moitié. « C’est une crise avec une dimension sociale qui est politiquement explosive », prévient M. Osorio.
Déréglementation
Dans les années 60, le commerce mondial du café avait été réglementé par l’Accord international sur le café. L’accord de 1962 fixait les quotas d’exportation pour les nations productrices et gardait le prix du café assez stable. Puis, une dizaine d’années plus tard, les États-Unis, le plus grand pays consommateur de café du monde, se sont retirés sous prétexte que l’accord, en gardant les prix élevés, allaient dans le sens contraires de leurs intérêts. Le Canada s’est retiré au même moment, ce qui a marqué la fin des quotas de café et du contrôle des prix.
Des pays comme le Viêtnam se sont précipités pour empocher de ce qu’ils appelaient « l’arbre à dollars ». En tout juste une décennie, le Viêtnam est devenu le deuxième pays producteur de café du monde, juste derrière le Brésil. Après l’effondrement de l’accord sur le café, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont fait pression sur les pays africains pour qu’ils libéralisent leur industrie du café et qu’ils éliminent les agences d’État qui achetaient les grains à des prix garantis. On a assuré aux producteurs qu’ils auraient des revenus décents. Mais la libéralisation a provoqué l’effet contraire. « La loi de l’offre et de la demande a agi au détriment des producteurs africains et au profit de la spéculation mondiale », a affirmé le premier ministre du Togo, Messan Agbeyone Kodjo, aux délégués à une conférence de l’OIC en mai 2001. « Présentement, les producteurs de café africains ont un sentiment de frustration et de révolte, a expliqué le premier ministre. Les prix du café fixés par les groupes internationaux sont complètement hors de leur contrôle. » Il y a 10 ans, les pays en voie de développement recevaient 30 cents pour chaque dollar dépensé pour une tasse de café. Aujourd’hui, Oxfam international calcule qu’ils reçoivent moins de 10 cents par tasse.
Des affaires d’or
Le café demeure toutefois un commerce lucratif pour ceux qui se trouvent au sommet de l’industrie. Cinq multinationales achètent près de la moitié de la production mondiale de café chaque année. Parmi elles se trouvent Sara Lee Corp, Nestlé et le géant du tabac Philip Morris, qui vend entre autres les marques Maxwell House et Nabob. Nestlé fait une marge de profit estimée à 25 % sur le café, selon Oxfam. La marge de profit chez Sara Lee Corp est estimée à 17 %.
La courbe des profits des grandes corporations de l’industrie du café montre une augmentation constante alors que le prix du café ne cesse de fluctuer, tel que l’a décrit Eduardo Galeano dans Les veines ouvertes de l’Amérique Latine. L’auteur uruguayen rappelle qu’« il est beaucoup plus profitable de consommer du café que d’en produire ».
Sarah Cox, collaboration spéciale
Traduction : Karine Girard