Un bouclier pour qui et pour quoi ?

vendredi 1er octobre 2004, par Pierre Beaudet

Le ministre de la Défense, Bill Graham, estime que le Canada doit participer au projet de bouclier antimissiles élaboré par Washington, parce que, affirme-t-il, ce projet assurera la sécurité du continent nord-américain. Tandis que des experts, comme Stéphane Roussel (Le Devoir, 25 septembre), affirment que le Canada n’a pas le choix de participer au projet américain, s’il veut maintenir sa position au sein du système de défense stratégique et des alliances mises en place à l’époque de la guerre froide (Norad).

Mais ces rationalisations ne sont pas convaincantes. À peu près tous les observateurs, y compris les experts militaires, concluent que le bouclier en question ne protégera personne. Les seuls gagnants seront les grandes entreprises qui, aux États-Unis, font partie d’un énorme complexe militaro-industriel, dont les avantages sont surtout d’avoir de bonnes relations politiques avec l’administration Bush.

Cependant, l’argument avancé par Stéphane Roussel mérite d’être examiné de plus près. Car effectivement, le Canada, avec les États-Unis, fait partie du système de défense de l’espace aérien nord-américain (Norad), conçu et mis en place pendant la Guerre froide, afin de protéger les populations nord-américaines contre d’hypothétiques attaques nucléaires soviétiques. Mais le fait est que le monde bipolaire que l’on connaissait alors n’existe plus. Il n’y a plus de menace soviétique parce qu’il n’y a plus d’Union soviétique. Peu importe cependant aux stratèges américains, qui brandissent d’autres menaces, arguant qu’il nous faut faire face aux « États voyous » - dont l’Iran et la Corée du Nord, et jusqu’à très récemment l’Irak - qui sont susceptibles d’attaquer les États-Unis d’Amérique.

Or, dans le cas de l’Irak, tous les rapports, y compris ceux de la CIA, ont démontré que ce pays était bien incapable d’attaquer qui que ce soit. La stratégie de confrontation des États dits voyous, est plutôt une nouvelle manière pour les États-Unis de déployer leur dispositif militaire partout à travers le monde.

Selon les néoconservateurs au pouvoir à Washington, les États-Unis doivent consolider leur suprématie en empêchant quiconque, même des alliés traditionnels, de s’organiser d’une manière indépendante. Ainsi, vis-à-vis de l’Union européenne, Washington insiste pour que l’OTAN demeure en place, et sous commandement américain, s’empressant du même coup de mettre des bâtons dans les roues aux pays qui, comme la France et l’Allemagne, voudraient établir une force militaire européenne. De la même manière, les États-Unis ne veulent pas d’un mandat des Nations unies pour stabiliser l’Irak, car ils sont convaincus qu’ils peuvent procéder seuls, pour leurs propres intérêts, à la « réingénierie » du Proche-Orient. Par contre, pour donner le change, Washington aime bien que des mini contingents polonais, hongrois, italiens, soient présents en Irak pour couvrir leur opération aux allures de multinationale. Richard Perle, un des architectes de la présente politique américaine, l’a dit fort clairement : « On reconstruira la communauté internationale qui nous convient et l’ONU deviendra obsolète. »

C’est la même manœuvre que tente l’administration Bush par rapport au Canada dans le cadre du projet de bouclier antimissiles. Certes, et ils ont été clairs là-dessus, les dirigeants américains ne s’en font pas trop avec la participation canadienne. Ils procèderont à leur projet peu importe que nous soyons ou pas de la partie. Mais ils aimeraient bien - comme ils le font en Irak - pouvoir dire au reste du monde qu’ils ne sont pas seuls, que ce projet - qui pourrait relancer la course aux armements et la militarisation de l’espace - n’est pas seulement le leur. Ils aimeraient bien pouvoir dire que « leur » communauté internationale est prête à embarquer. Pourquoi devrions-nous être les dindons de la farce ?


L’auteur est directeur général d’Alternatives.

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