Un autre regard sur le printemps arabe

vendredi 10 mai 2013, par Saïd El Maachour

Le printemps arabe a été et est encore l’objet fertile d’études d’analystes tentant d’expliquer ses tenants et ses aboutissants et de prédire ce qu’il va en advenir. Dans ces analyses, on y trouve une tendance à globaliser les points de vue et à proposer des conclusions décontextualisées. Nombre de ces discours ne relatent ni les spécificités de chaque pays, ni la diversité des tendances islamistes en jeu. Pourtant, la singularité de la destinée marocaine pourrait à elle seule illustrer toute la complexité des enjeux du Maghreb.

Dans la vague du printemps arabe, le Maroc a connu lui aussi son mouvement contestataire baptisé le Mouvement des 20 Février. C’est le seul point commun avec les autres pays traversés par ces révoltes. Si le poids des islamistes est parfois contesté dans les révoltes en Égypte ou en Tunisie, il est incontestable dans le cas marocain.

La présence islamiste dans le Mouvement des 20 Février, en l’occurrence avec le mouvement Al Adl wa Al Ihsane (Justice et Bienfaisance) a été déterminante. En témoigne l’affaiblissement du Mouvement des 20 Février suite au retrait de l’association islamiste.

Al Adl wa Al Ihsane, toujours illégal, mais toléré par le pouvoir, affiche des positions aux antipodes de celles adoptées par le parti islamiste au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (PJD). Il faut souligner par contre, qu’Al Adl wa Al Ihsane est opposé à toute participation au jeu politique, même si ce dernier a pourtant été porté au pouvoir suite à la révolte et est présent dans la scène politique depuis la fin des années 1990. Ses députés ont aussi soutenu à cette époque le gouvernement d’alternance dirigé par des socialistes.

Ce mouvement dirige aujourd’hui une coalition gouvernementale dont l’une de ses composantes est d’idéologie marxiste, en l’occurrence le PPS (Parti du Progrès et du Socialisme). Force est de constater que le PPS est plus en connivence avec le PJD qu’avec le parti conservateur d’Istiqlal dont le référentiel islamique devrait « normalement » le rapprocher des islamistes. À noter que même les socialistes de l’USFP (Union Socialiste des Forces Populaires) ont été approchés par les islamistes du PJD pour faire partie du gouvernement actuel.

Le monde arabe, un bloc uniforme ?

La réalité sociale et politique des pays qui composent ce qu’on appelle le monde arabe est autrement plus complexe. Le poids des Coptes, soit les habitants chrétiens d’Égypte, ou de la présence chiite au Bahreïn rend hasardeuse, ou du moins incomplète, toute tentative de comparaison entre les situations des pays du Maghreb.

Considérer le monde arabe comme un bloc unique et uniforme débouche certainement sur des conclusions parfois erronées. Le Maroc et l’Algérie sont expressifs de ces différences. Limitrophes, mais antagoniques, ces deux pays ont des régimes différents – monarchique et libéral pour l’un, socialiste avec un pouvoir sous influence militaire pour l’autre –, des situations sociales incomparables et des positions politiques divergentes, voire conflictuelles sur certaines questions. Le conflit du Sahara occidentale en est une parfaite illustration.

De plus, le printemps arabe n’a pas été vécu dans les pays concernés de la même manière. Le déroulement et l’issue des révoltes ont été très différents en Égypte avec la chute du président Moubarak et son jugement, en Tunisie avec la fuite de Ben Ali ou en Libye avec l’exécution de Kadhafi à la suite d’une intervention militaire internationale. La situation actuelle dans ces pays est tout aussi incomparable. Considérer également les mouvements islamistes comme un tout monolithique est une autre facilité dans laquelle tombe certains analystes, même parmi les plus avisés.

Faut-il craindre les islamistes au pouvoir ?

Plusieurs observateurs présentent les islamistes comme les véritables gagnants du printemps arabe. Faut-il s’en inquiéter ? Devrait-on nécessairement verser dans cette vision dichotomique entre l’islamisme ou la démocratie ?

Certains manifestent des craintes d’« islamisation de l’État » comme en Tunisie où l’ancien régime déchu avait déjà laïcisé les institutions. D’autres parient sur une possible intégration des islamistes dans le processus démocratique pour ainsi fermer les portes aux extrémismes. Selon les défenseurs de cette dernière option, l’exclusion des islamistes pourrait produire l’effet d’une radicalisation dangereuse et engendrer la sympathie des populations. Une fois soumis aux règles du jeu démocratique, les islamistes ne seront pas jaugés à l’aune de la ferveur de leur foi, mais à la teneur de leurs projets politiques.

Dans ce sens, Pascal Boniface, directeur de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques, affirme sans ambages : « L’Occident doit se libérer de certains de ses préjugés tenaces sur le monde arabe pour évaluer avec justesse les processus démocratiques à l’œuvre dans les nouveaux régimes. La présence de l’islamisme comme force politique ne signifie pas une mort annoncée de la démocratie arabe. »

Il faut dire que chaque pays du monde arabe a sa propre situation politico-sociale, ses « propres » islamistes, bref son contexte spécifique. Pour être pertinent, nous devrions nous départir une fois pour toute de la fâcheuse manie de tout globaliser.

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