Chaque jour ou presque, les infos assènent qu’un attentat a eu lieu quelque part en Irak. Contre des Chrétiens. Contre des Chiites. Contre des Kurdes. A les écouter, l’Irak serait une sorte de pays en pièces détachées, morcelé entre plusieurs communautés incapables de s’entendre et de vivre ensemble. A les écouter, le retrait des troupes américaines ne pourrait laisser qu’un vide insurmontable. C’est exactement l’inverse que plusieurs représentants du réseau Iraqi Democratic Future Network (IDFN), Chrétiens, Chiites, Sunnites, Kurdes, ont démontré pendant leur visite à Paris, à l’occasion d’une semaine de conférences et d’ateliers organisés par Initiatives Pour un Autre Monde (IPAM) et Alternatives Montréal.
« Il y a une fausse idée qui circule : la société civile en Irak n’a pas attendu 2003 et l’invasion américaine pour exister » martèle Shammeran Marogel Odesho, secrétaire générale de la Ligue des Femmes Irakiennes, fondée en 1952… Militante de longue date, emprisonnée et torturée pendant la dictature de Saddam Hussein, elle affirme qu’en matière de respect des droits humains, la situation en Irak ne s’est pas améliorée depuis 2003. Pour exemple, l’article 41 de la nouvelle constitution stipule que « chaque irakien est libre de s’engager quant à leur statut personnel en concordance avec leur religion, secte, croyance ou orientation« . Non seulement cet article annule la loi 188 de 1999 sur le statut personnel – considérée comme l’une des plus égalitaires du Moyen Orient – mais il encourage également les divisions communautaires au sein de la société irakienne. Chaque confession ayant des règles différentes en matière de mariage, de divorce ou d’héritage entre autres, les irakiens ne sont donc plus égaux. Shammeran décrit la situation actuelle comme très préoccupante, et n’hésite pas à mettre en cause l’occupation américaine : « c’est un mensonge, les américains ne sont pas venus pour nous libérer« .
Adnan Al Saffar le confirme. Il représente l’Union Générale Syndicale d’Irak. Selon lui, le nouveau code sur l’investissement facilite le rachat à bas prix d’ entreprises publiques irakiennes par des compagnies étrangères. « 207 entreprises publiques dont l’Etat irakien s’est désengagé depuis 2003 sont mises en vente. Si elles avaient été au contraire soutenues , il ne serait pas nécessaire de les privatiser aujourd’hui« . Il en conclut que l’administrateur américain a volontairement laisser se dégrader ainsi la situation des entreprises publiques. L’ancien vice-président Dick Cheney avait d’ailleurs été mis en cause lorsque Halliburton, la firme qu’il présidait de 1995 à 2000, avait bénéficié d’un contrat avec le gouvernement américain de plusieurs milliards de dollars pour la « reconstruction » en Irak.
L’Union Syndicale milite donc pour qu’un nouveau code du travail soit adopté afin de relever trois défis qu’Adnan considère comme majeurs : lutter contre le chômage qui toucherait près de 35% de la population active, proposer des alternatives à la privatisation du secteur public facteur selon lui de paupérisation, contrôler les investissements étrangers et l’afflux de main d’œuvre étrangère.
La Ligue des Femmes Irakiennes quand à elle mène des actions de plaidoyer pour obtenir la réforme de la Constitution de 2005 et offre une assistance juridique aux femmes qui la sollicitent. Elle a également mené une importante campagne de soutien aux veuves des victimes civiles et militaires. Shammeran Odesho explique que les trois guerres successives traversées par la population irakienne a laissé la place du père vide, provoquant la dislocation de la famille irakienne et ce qu’elle appelle une véritable crise psychologique.
Face à ce qui pourrait sembler inéluctable, les militants irakiens présents à Paris ont porté un message très clair : l’Irak est une mosaïque de peuples qui se battent ensemble depuis longtemps malgré la dictature, la guerre et l’occupation pour construire un état irakien démocratique par et pour eux-mêmes.