Tunisie : perspectives d’avenir

mercredi 1er février 2012, par Mathilde Mercier

Le 17 décembre 2010, le Tunisien Mohammed Bouazizi, un jeune marchand de rue à Sidi Bouzid, proteste contre la saisie de sa marchandise par la police en s’immolant. Son geste marquera le début des révoltes tunisiennes. Quatre semaines plus tard, le 14 janvier 2011, le président Tunisien Zine el-Abine Ben Ali fuit son pays pour l’Arabie Saoudite après 23 ans passés à la tête d’un régime autocratique. Un an plus tard, quelles sont les perspectives d’avenir des Tunisiens ?

La Tunisie n’est pas aussi militarisée que d’autres pays qui ont aussi connu la révolte, comme l’Égypte. Les Tunisiens ont élu une assemblée constituante. Ils ont eu pour la première fois droit à des élections libres qui ont mis au pouvoir le parti islamiste Ennahda. La Tunisie semble donc surmonter peu à peu les défis reliés à l’accession à la démocratie. Mais qu’en est-il des défis qui existent depuis le temps de l’indépendance et qui ont aussi poussé les Tunisiens à se révolter ? Qu’en est-il de la flambée des prix des produits de première nécessité, du chômage, des disparités sociales, de la lutte contre la corruption ?

Plusieurs panélistes de renom ont analysés les perspectives d’avenir pour le pays du jasmin durant une conférence organisée par le Collectif Tunisien au Canada le 14 janvier dernier, un an jour pour jour après la fuite de Ben Ali.

« À l’époque, les peuples demandaient le socialisme, le nationalisme et des transformations radicales de la société. Mais le néo-libéralisme a pris le dessus. L’offensive de la droite a été catastrophique pour les mouvements populaires. Aujourd’hui, les peuples demandent des choses tellement basiques comme la dignité ou les droits humains, qu’elles auraient fait sourire l’étudiant que j’étais dans les années 70 », explique Samir Saul, professeur d’histoire des relations internationales, spécialement de la France et du monde arabe, à l’Université de Montréal. Toutes ces transformations fondamentales que demande le peuple tunisien passent certes par un changement de politique, mais aussi par une nouvelle économie.

Rebâtir l’économie

« Pour rebâtir l’économie tunisienne et permettre la redistribution, il faudrait entre 20 et 30 milliards de dollars américains selon les estimations de la Banque centrale de Tunisie », annonce Aziz Fall, politologue et fondateur du Groupe de Recherche et d’Initiative pour la Libération de l’Afrique (GRILA).

Historiquement, la Tunisie est l’un des rares pays d’Afrique à payer ses dettes envers la Banque Mondiale et le FMI dans les délais convenus.Toutefois, ce dispositif d’emprunt-remboursement ne fait qu’entretenir une économie de rente (exemple : le secteur du tourisme) qui ne permet pas de faire des investissements sur le long terme pour passer à une économie de marché. Ainsi, l’économie actuelle fait stagner la Tunisie qui ne peut pas développer des pôles technologiques et industriels ou des infrastructures de transport pour désenclaver les régions intérieures.

« Cet enfermement et cette économie d’enclave font oublier que la Tunisie est un pays qui regorge de ressources et qui a beaucoup de potentiel, sous-utilisé au niveau agricole par exemple », explique M.Fall. « Il faut le retour de certaines sommes, une politique de décentralisation où l’agriculture et les zones marginalisées doivent être réintégrées dans l’économie, une situation de plein emploi où les diasporas et les jeunes soient réinsérés dans les tissus sociaux », propose le politologue.

Mainmise des États-Unis et de l’Europe ?

« L’arrivée des islamistes au pouvoir n’exprime pas seulement un changement au niveau des États arabes, mais aussi au niveau de l’entité géoculturelle qu’est le monde arabe. On voit bien qu’il y a une reconfiguration du pouvoir au niveau international », affirme Noomane Raboudi, professeur adjoint à l’université d’Ottawa, expert en religion et en droit de la personne, durant la même conférence.

« Le printemps arabe, qui n’était pas un printemps, mais un hiver sanguinaire, signe un changement de rapport entre l’Occident et le Monde arabe, surtout entre les chancelleries occidentales et une partie du monde arabo-musulman qui ont pour courant idéologique l’islamisme », ajoute-t-il.

L’implication américaine dans le processus de démocratisation en Tunisie n’est pas anodine. Le printemps arabe signe une deuxième phase de la décolonisation selon plusieurs observateurs (journaux, universitaires et historiens). La Tunisie doit donc ne pas prendre à la légère la pression des puissances étrangères. L’Occident, qui jusque-là diabolisait l’Islam, doit composer avec l’arrivée d’Ennahda au pouvoir. Il doit différencier groupe radical et groupe modéré dans sa politique internationale et faire face à ses responsabilités dans sa prise de position face aux anciens régimes autoritaires.

« La diplomatie européenne a du mal à trouver une ligne de conduite internationale commune alors que les États-Unis gèrent mieux les après-soulèvements. Les Américains ont toujours suivi une approche pragmatique, c’est-à-dire qu’il y a toujours un soutien aux régimes autoritaires, mais aussi une main tendue vers la société civile. Ils ont ainsi pu fidéliser les nouveaux pouvoirs en place, tandis que les Européens et surtout les Français ont toujours choisi le camp des régimes », constate Noomane Raboudi.

Comment oublier les propos tendancieux de Michèle Alliot Marie, ministre française des Affaires étrangères au moment des révoltes tunisiennes, qui proposait à l’Assemblée nationale française le savoir-faire français à la police tunisienne pour « régler les situations sécuritaires », trois jours avant la démission de Ben Ali ?

Crédit photo : Mathilde Mercier


Voir en ligne : Le site Web du Collectif Tunisien au Canada

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