Aéroport de Bagdad, le 22 mai 2009, 13h30. Aidan White, secrétaire général de la Fédération internationale des journalistes, nous accueille. « Cette conférence est la première, tous domaines confondus, à se tenir à Bagdad depuis 2003. C’est la preuve que la situation s’améliore. Mais ceux qui ne veulent pas que la situation s’améliore savent que nous sommes là. Nous serions pour eux une belle cible. Je vous invite donc à la prudence. »
Dans la semaine qui a précédé notre arrivée, 60 personnes ont péri dans des attaques à la bombe à Bagdad et, la veille, un entrepreneur américain a été assassiné dans la « zone verte ».
Au cours des six dernières années, plus de 300 journalistes, dont 30 étrangers, ont été tués en Irak. Certains d’entre eux sur la « route de la mort », cette autoroute de 12 kilomètres que nous empruntons pour nous rendre à notre hôtel, au coeur de cette « zone verte », hyperprotégée. Notre convoi — six ou sept voitures blindées et cinq camions de l’armée irakienne — roule à 120 km/h.
Entrée en zone verte
La « route de la mort » n’est plus ce qu’elle était. Partout où il y avait danger, des murs de béton de sept mètres ont été érigés. Les soldats irakiens qui nous accompagnent sont installés par groupes de cinq dans des cabines à ciel ouvert. Plutôt que de chercher à l’horizon d’éventuelles menaces, ils nous regardent, mitraillette à la main, le doigt sur la gâchette. Leur arme n’est pas pointée vers le sol comme la procédure le prévoit probablement en de telles situations, mais bien à l’horizontale. Souvent, je suis dans le champ de vision de l’un d’entre eux. Impossible de ne pas penser au kamikaze qui se serait infiltré dans l’armée irakienne pour attendre le meilleur moment de devenir martyre.
Nous entrons dans la « zone verte ». À gauche, une des anciennes résidences de Saddam Hussein ; un grand jardin public sans visiteurs, un stade déserté. La « zone verte » est grise ; les Irakiens n’y ont pas accès.
Nous sommes à un kilomètre de l’hôtel. Une heure encore pour traverser un long corridor bétonné et subir trois autres contrôles militaires interminables. Enfin, la réception de l’hôtel Al-Racheed. Le journaliste belge Baudoin Roos le décrit ainsi : « L’établissement n’a pas beaucoup changé depuis l’époque de Saddam. Seuls manquent les agents en civil typiques de l’époque Baas. Un vaisseau sans âme, à la soviétique, de 14 étages sur 150 mètres de long et 30 de large, avec d’immenses dépendances, une piscine olympique vide, deux terrains de tennis à l’abandon et un bar "Shéhérazade" fermé depuis des années pour réfection. »
Travailler dans le « respect »
Cérémonie d’ouverture, présidée par le premier ministre Nouri Al Maliki. « Le monde des médias est une des plus importantes institutions en Irak, affirme-t-il. La liberté de la presse est essentielle à la démocratie. Depuis la chute de Saddam, 100 journaux et des dizaines de stations de radio et de télévision ont été créés. »
« Mais, ajoute-t-il, il y a des limites à la liberté de la presse. Nous ne voulons pas imposer des contraintes aux journalistes pour autant qu’ils travaillent de manière respectueuse. »
Le gouvernement irakien ne cherche pas à contrôler systématiquement les médias, comme le font la plupart des États arabes et comme le faisait l’ancien régime irakien. À l’époque de Saddam, tous les médias étaient au service de l’État et le président du Syndicat des journalistes était un de ses fils.
L’Irak est le seul pays arabe où le monopole de l’État sur les médias a éclaté et où le pluralisme est le plus développé. Cependant, comme l’écrit Sahbi ben Nablia, doctorant à l’UQAM et consultant auprès de Réseau Liberté : « La fragilité du paysage médiatique s’explique, notamment, par la multiplication des médias à caractère ethnique, religieux et politique qui ont fragmenté la pluralité des médias. C’est l’utilisation des médias comme un outil de propagande qui pose problème. Kurdes, Turkmènes, Arabes sunnites et chiites et chrétiens possèdent leur "empire médiatique" et défendent leur propre agenda. »
Détermination et imagination
Certains médias lancent des appels à la haine et contribuent ainsi à rendre le travail de leurs collègues plus dangereux encore. De passage à l’hôtel, un journaliste d’une agence internationale en poste à Bagdad depuis neuf ans se confie au journaliste belge Baudoin Loos : « Nous ne sortons pas sans gardes. Entre un et cinq, selon la dangerosité du quartier ou la ville concernée. Et on ne reste jamais plus que 40 minutes dans la même rue, au-delà de cela, "ils" ont le temps de s’organiser pour tenter une prise d’otage. »
« Les journalistes irakiens ont dû faire preuve de détermination et d’imagination face aux menaces et aux attaques », constate Moaid Alami, président du Syndicat irakien des journalistes à la clôture de la conférence. Un journalisme indépendant et respectueux de la déontologie peut contribuer à l’éclosion d’une vie communautaire engagée, mais tolérante. « Mais seulement si la sécurité des journalistes est assurée. »
Tout un défi dans un pays où les journalistes, comme les autres Irakiens que nous avons rencontrés, se sentent tristes, humiliés et épuisés. Tristes de voir le pays et la capitale occupés, donc paralysés. Humiliés d’avoir à subir constamment de multiples contrôles militaires par des soldats étrangers. Épuisés par les difficultés de la vie quotidienne : taux de chômage de 50 %, électricité une heure sur deux, essence autrefois presque gratuite maintenant vendue à 0,50 $ le litre. Et la tentation de croire et de proclamer que « c’était mieux à l’époque de Saddam ».
NDLR : Pour en savoir plus sur le travail d’Alternatives en Irak pour renforcer la société civile.