Opinion

Tremblement de régime en Birmanie et en Chine

jeudi 29 mai 2008, par Naomi Klein

Lorsque j’ai appris la nouvelle du tremblement de terre catastrophique à Sichuan, j’ai repensé à Zheng Sun Man, cadre dans le domaine de la sécurité, récemment rencontré lors d’un voyage en Chine. Il dirige Aebell Electrical Technology, une compagnie basée à Guanzhou, qui produit des caméras de surveillance et des réseaux de mégaphones pour des annonces publiques.

Âgé de 28 ans, ce détenteur d’un MBA, complètement accro aux messages textes, était déterminé à me persuader que ses caméras et ses haut-parleurs ne sont pas utilisés contre les militants prodémocratie ou contre des leaders ouvriers. Ils servent d’instruments en cas de catastrophes naturelles, explique Zheng, évoquant les tempêtes de neige inhabituelles survenues avant la nouvelle année lunaire. Lors de cette crise, le gouvernement « a été en mesure d’utiliser les images des caméras du chemin de fer afin de communiquer les informations nécessaires pour faire face à la situation, ainsi que pour organiser l’évacuation. Nous avons vu comment le gouvernement central peut commander du nord lorsqu’il y a des situations d’urgence dans le sud ».

Bien sûr, ces caméras de surveillance peuvent avoir d’autres usages, comme favoriser la production de pancarte « Recherché » visant des militants tibétains. Mais Zheng avait raison sur un point : rien ne terrifie plus un régime répressif qu’une catastrophe naturelle. Les États autoritaires gouvernent par la peur, et en projetant une aura de contrôle total. Lorsqu’ils apparaissent comme absents, désorganisés ou en manque de ressources, leurs sujets peuvent devenir dangereusement enhardis. C’est quelque chose dont il faut se rappeler, lorsque deux des régimes les plus répressifs de la planète, la Chine et la Birmanie, peinent à réagir adéquatement à des désastres dévastateurs : le tremblement de terre de Sichuan et le cyclone Nargis. Dans les deux cas, les catastrophes ont exposé les faiblesses politiques de ces régimes, et ces deux crises ont le potentiel de déclencher une colère publique difficile à contrôler.

Lorsque la Chine est occupée à se construire, en créant des emplois et une nouvelle richesse, les résidants restent tranquilles malgré ce qu’ils savent : les entrepreneurs coupent souvent les coins ronds et omettent les règles de sécurité, tandis que les dirigeants locaux, corrompus, ferment les yeux. Mais lorsque la Chine s’effondre, incluant au moins huit écoles dans la zone du tremblement de terre, la vérité réussit à s’échapper des ruines. « Regardez tous les édifices autour. Ils étaient tous de la même hauteur, mais pourquoi l’école s’est-elle effondrée ? a demandé une personne en détresse de Juyuan à un journaliste étranger. C’est parce que les entrepreneurs veulent faire des profits sur le dos de nos enfants. » Une mère de Dujiangyan a raconté au Guardian que « les dirigeants chinois sont trop corrompus, trop mauvais… Ils ont de l’argent pour des prostituées et pour une deuxième épouse, mais ils n’ont pas d’argent pour nos enfants ».

Il devient soudainement inquiétant que les installations olympiques puissent résister à des séismes. Lorsque j’étais en Chine, il était difficile de rencontrer quelqu’un prêt à critiquer les dépenses olympiques. Aujourd’hui, des commentaires sur des portails Internet populaires qualifient le relais de la flamme olympique de gaspillage et, dans des moments si douloureux, d’inhumain.

Rien de cette situation ne se compare à la colère qui gronde en Birmanie, où les survivants du cyclone ont, par exemple, battu un responsable local. Ils étaient furieux de son échec à distribuer de l’aide. Selon Simon Billenness de U.S. Campaign for Burma, « c’est mille fois pire que Katrina. Je ne vois pas comment cela ne provoquera pas des troubles politiques ».

Les contestations que le régime craint le plus ne proviennent pas des civils, mais de l’armée. Il s’agit d’une des raisons qui explique le comportement erratique de la junte après la tragédie. Par exemple, nous savons tous que la junte birmane s’est attribué le crédit pour l’aide fournie par l’étranger. Il semble maintenant qu’elle s’est arrogé bien plus. Dans certains cas, elle s’est approprié l’aide elle-même. Selon un article du Asia Times, le régime a volé les envois de nourriture pour les distribuer à ses 400 000 soldats. Ce geste met en lumière la menace que représente ce désastre. Il semble que les généraux soient « hantés par une peur presque pathologique d’une division dans leurs rangs… si les soldats ne sont pas traités en priorité dans la distribution de l’aide et s’ils sont incapables de se nourrir, alors les possibilités de mutinerie augmentent ». Mark Farmaner, directeur de Burma Campaign UK, confirme qu’avant le cyclone, l’armée faisait déjà face à une vague de désertion.
Ce vol de nourriture à petite échelle fortifie la junte dans l’atteinte d’un objectif plus important, celui d’un référendum que les généraux insistent pour tenir, malgré l’enfer ou les inondations. Attirés par les prix élevés des ressources naturelles, les généraux de Birmanie se sont nourris des richesses du pays, en soutirant des pierres précieuses, du bois, du riz et du pétrole. Malgré cette position favorable, le leader de la junte, le général Than Shwe, sait qu’il ne peut résister indéfiniment aux appels pour la démocratie.

En s’inspirant du dictateur chilien Augusto Pinochet, les généraux ont rédigé une Constitution qui permet de futures élections, mais qui tente de garantir qu’aucun gouvernement ne pourra leur enlever leurs richesses frauduleusement acquises ni les poursuivre pour leurs crimes. Comme l’explique Mark Farmaner, après les élections, les chefs de la junte « vont porter des complets plutôt que des bottes ». […]

Pendant ce temps, le cyclone représente une dernière grande occasion d’affaires pour la junte : en bloquant l’aide destinée au delta très fertile d’Irrawaddy, des centaines de milliers de riziculteurs appartenant à l’ethnie Karen sont condamnés à la mort. Selon M. Farmaner, « ces terres peuvent être cédées aux partenaires d’affaires des généraux » (ce qui ressemble aux saisies de terres côtières au Sri Lanka et en Thaïlande après le tsunami). Il ne s’agit pas d’incompétence ni de stupidité comme plusieurs le disent. C’est un nettoyage ethnique volontaire.

Si la junte birmane évite une mutinerie et atteint ses buts, ce sera en grande partie grâce à la Chine, qui a vigoureusement bloqué toutes les tentatives d’aide humanitaire par l’ONU. En Chine, où le gouvernement central s’efforce de se présenter comme compatissant, les nouvelles concernant une telle complicité pourraient devenir explosives.

Les citoyens chinois vont-ils avoir accès à ces informations  ? Il se pourrait que oui. Pékin a jusqu’ici démontré une grande détermination à censurer et à surveiller toute forme de communication. Mais à la suite du séisme, la fameuse « Grande muraille » destinée à censurer Internet échoue lamentablement. Les blogues se déchaînent et même les journalistes d’État insistent pour rapporter les nouvelles.

Ceci est peut-être la plus sérieuse menace provoquée par les catastrophes naturelles à laquelle doivent faire face les régimes répressifs. Pour les dirigeants de la Chine, rien n’a été plus vital pour conserver le pouvoir que cette capacité à contrôler ce que les gens voient et écoutent. S’ils perdent ça, ni la surveillance par caméra ni des haut-parleurs ne seront capables de les aider.

Traduit de l’anglais. Version originale : The Nation (www.thenation.com)

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