Travailleurs du sexe aux barricades

samedi 1er mars 2003, par Sara COLLIN

« La société doit accepter que l’industrie du sexe est une réalité, et évoluer à partir de là », nous dit Jenn Clamen, organisatrice du Festival pour les droits des travailleurs du sexe, qui s’est déroulé à Montréal au cours de la troisième semaine de février.

Plusieurs discussions qui ont eu lieu au cours du festival ont tourné autour de la décriminalisation du travail sexuel. « La décriminalisation est le but ultime des groupes de défense des droits des travailleurs du sexe », explique Jenn Clamen qui est aussi engagée au sein de la Coalition pour les droits des travailleurs du sexe. Celle-ci a travaillé pendant deux ans à Londres, où elle a réussi à mettre sur pied un Syndicat pour les travailleurs du sexe. Forte de son succès, elle s’est établie à Montréal, déterminée à faire la même chose ici. Il y aurait déjà six ou sept syndicats du même genre à travers le monde, nous apprend la jeune femme.

Karina Bravo, une Équatorienne, a quant à elle été invitée à participer au festival afin de servir d’inspiration. Celle-ci se bat depuis 1982 dans son pays, contre la discrimination du gouvernement et la répression policière. Des années de lutte qui ont fini par servir à quelque chose. Aujourd’hui, Karina participe aux négociations destinées à l’élaboration d’une nouvelle loi qui fera en sorte de changer la constitution. Si ces négociations réussissent, le gouvernement reconnaîtra alors l’industrie du sexe comme légitime et le code du travail s’appliquera aussi aux travailleurs du sexe. Ce que Karina Bravo a réussi à accomplir chez elle, c’est là le souhait le plus cher de nombreux travailleurs du sexe chez nous.

Du harcèlement à la violence

Sauf dans le contexte de maisons closes, qui sont interdites - en être propriétaire ou y travailler est illégal - en principe, au Canada, le travail sexuel n’est pas criminalisé. Mais dans la réalité, la majorité des travailleurs du sexe doivent régulièrement faire face au harcèlement des autorités policières : contravention pour des infractions mineures telles flânage ou avoir traversé à une intersection alors que le feu était rouge, etc. « Tout le monde a les mêmes droits, s’insurge Valérie Bouchard, qui fait aussi partie de l’organisation du festival. Mais l’application que font les policiers de la loi est différente selon que vous soyez un travailleur du sexe ou non. » Sur ce, Jenn Clamen insiste : « Les droits des citoyens doivent aussi s’appliquer aux travailleurs du sexe, qui par certaines personnes à Montréal ne sont pas considérés comme des citoyens à part entière. Elles ne leur reconnaissent pas de droit parce qu’ils sont dans la rue et vendent du sexe. »

Mirha-Soleil Ross, un transsexuel producteur de vidéos, acteur et militant qui habite maintenant Toronto, ne croit pas que la violence soit inhérente à l’industrie du sexe. Elle affirme que celle-ci doit être perçue à l’intérieur du contexte plus large de l’ensemble de la société qui est elle-même violente. Prenant part à une discussion au cours du festival, elle a demandé : « Pourquoi la violence serait reliée au sexe alors qu’il y a un échange d’argent ? » La travailleuse du sexe ne nie pas pour autant qu’il y ait de la violence dans le travail sexuel, évoquant même quelques-unes de ses propres expériences. Mais elle refuse d’admettre que cela puisse être intrinsèque à la nature du commerce sexuel. Plusieurs fois, a-t-elle répété, la violence que confrontent les prostitués est de nature raciste, xénophobe ou homophobe.

Images et attitudes divergeantes

Mirha-Soleil Ross a aussi critiqué le fait que les prostituées et autres travailleuses du sexe sont toujours représentées comme de pauvres femmes abusées, forcées de vivre du sexe alors qu’elles ne le veulent pas. Pour elle, il s’agit d’un portrait injuste qui nie le fait que certains travailleurs du sexe auraient fait le choix de vivre de ce commerce. « Ainsi, même si les féministes et les travailleurs sociaux disent vouloir aider les prostituées, leur objectif à long terme est d’éliminer toute forme de travail sexuel. » Une attitude qui selon elle ne fait que renforcer la vison tronquée que l’on se fait du travail sexuel qui ne peut être une forme légitime de travail.

Au Québec, les groupes féministes défendent majoritairement la décriminalisation de la prostitution, sans pour autant défendre la prostitution, et encore moins la banaliser. Ils ne sont pas toujours d’accord avec l’analyse de Mirha-Soleil Ross, mais s’entendent avec elle pour dire que les droits des prostitués doivent être protégés par la loi au même titre que tout autre citoyen.

Sara Collin, collaboration spéciale


DESCRIPTION PHOTO : Jenn Clamen, membre de la Coalition pour les droits des travailleurs du sexe, lors de la soirée Histoire du Red Light, qui s’est déroulée dans le cadre du festival.

CREDIT PHOTO : Coalition pour les droits des travailleurs du sexe

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