« Certains juges rejettent 95 % des requêtes qui leur sont présentées, alors que d’autres acceptent presque toutes celles qu’ils entendent », affirme un membre de la Coalition contre la déportation des réfugiés palestiniens, Rabie Masri. « Les réfugiés blaguent à propos de cette situation qu’ils comparent à un billet de loterie. »
Ces contradictions dans le système et les divergences entre le traitement de chaque cas ont amené les réfugiés palestiniens à mettre en place cette coalition, qui se veut un moyen formel pour remettre en question les procédures de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) et exiger du changement.
Le processus pour obtenir le statut de réfugié est long. Les requérants peuvent attendre jusqu’à 18 mois avant d’être entendus, une période qui peut paraître longue pour quelqu’un qui s’apprête à recommencer une nouvelle vie. Si la requête échoue, le réfugié peut aller en appel, une démarche pouvant prendre jusqu’à neuf mois.
En cas de refus, la procédure de déportation se met lentement en marche. Encore une fois, les réfugiés peuvent attendre jusqu’à neuf mois avant d’être forcés de quitter le pays. Pendant ce délai, ils peuvent tenter une mesure de dernier recours, l’examen des risques avant renvoi, qui permet d’accorder un sursis à ceux qui parviennent à démontrer par de nouvelles preuves qu’un retour dans leur pays d’origine pourrait menacer leur sécurité.
Problème d’interprétation
La CISR est supposé évaluer la validité des requêtes selon les critères de la Convention de Genève de 1951, mais la coalition accuse certains de ses membres de mal interpréter la convention ou de l’ignorer complètement.
« La Convention de Genève dit que n’importe quel individu persécuté à cause de sa religion, son appartenance à un groupe ethnique ou ses idéologies politiques peut demander le statut de réfugié, explique M. Masri. Le problème est qu’on laisse aux membres de la CISR la tâche d’"interpréter" ce qu’est la persécution. »
Rabie Masri cite en exemple le cas de deux frères qui se sont présentés devant des membres différents de la CISR. Les deux jeunes hommes provenaient du même camp de réfugiés, des mêmes conditions, du même foyer. L’un a pourtant vu sa requête rejetée, alors que celle de son frère a été acceptée.
Le site Internet de la CISR explique que « le cadre des audiences et leur procédure sont relativement informels ; ainsi, la preuve présentée et admise n’est pas limitée par les règles juridiques ou techniques de présentation de la preuve », ce qui reflète bien les critiques de la coalition qui estime que le processus manque d’uniformité.
« Ils ne les questionnent pas sur les réalités des persécutions dans les camps du Liban et de Palestine, affirme M. Masri. Les audiences sont plutôt des attaques sur la crédibilité des requérants. »
« Ils demandent des réponses très précises », témoigne un réfugié qui a préféré garder l’anonymat. Diplômé en ingénierie et réfugié provenant d’un camp au Liban, où la loi ne lui permet pas de travailler, il a vu sa requête initiale rejetée et attend présentement le résultat de son appel. « C’est comme un interrogatoire. Si l’on fait une seule erreur alors qu’on est sous pression, les membres de la CISR l’utilisent pour attaquer notre crédibilité. »
Selon lui, les questions sont parfois floues et manquent de pertinence. Il rapporte qu’un juge a déjà demandé à un réfugié de donner la couleur d’une ligne qui apparaît sur un formulaire d’immigration et affirme qu’un autre collègue s’est vu demander son opinion sur les accords d’Oslo, processus de paix signé en 1993 pour mettre fin au conflit israélo-palestinien.
Selon M. Masri, la Coalition a contacté différents paliers gouvernementaux afin de faire accepter leur position : « C’est une injustice et ces gens devraient être considérés avec sérieux. » La coalition s’est liée avec des organisations populaires et communautaires afin de faire circuler son message et 45 groupes ont endossé leur campagne.
La coalition demande l’arrêt des déportations de réfugiés palestiniens et l’acceptation de leurs requêtes. Quant à ceux déjà impliqués dans les procédures d’appel et de déportation, leur avenir est très incertain.
« Ce n’est pas facile », dit le réfugié qui a demandé l’anonymat. « Après avoir passé toute sa vie à fuir, à chercher un chez-soi, ça n’a pas de sens de retourner en arrière. Nous sommes vraiment chanceux d’être parvenus aussi loin, parce qu’il y en a des milliers qui veulent s’échapper. »
Andrew Elkin, stagiaire du programme Médias alternatifs
Traduction : Karine Girard