Télévision

Télé orientée

jeudi 1er mai 2008, par Emmanuel Martinez

Avec Manifestes en série, Hugo Latulippe présente une rareté : une série télé engagée. Avec huit émissions ayant chacune un thème comme l’éducation ou les ressources naturelles, le documentariste critique certains modèles, mais présente surtout des gens qui construisent en ce moment une société plus juste, harmonieuse et durable. Emmanuel Martinez a rencontré celui qui s’est fait connaître avec les documentaires Bacon, le film et Ce qu’il reste de nous, sur le Tibet.

Avec Manifestes en série, Hugo Latulippe présente une rareté : une série télé engagée. Avec huit émissions ayant chacune un thème comme l’éducation ou les ressources naturelles, le documentariste critique certains modèles, mais présente surtout des gens qui construisent en ce moment une société plus juste, harmonieuse et durable. Emmanuel Martinez a rencontré celui qui s’est fait connaître avec les documentaires Bacon, le film et Ce qu’il reste de nous, sur le Tibet.

Pourquoi cette série ?
Je veux générer un questionnement sur les fondements de notre société, sur la logique productiviste, sur la destruction de l’environnement… Je vois la série comme un outil de démocratie. Je veux donner la voix à des gens minoritaires qui sont des visionnaires, mais qui ne se font pas entendre. Je veux donner la voix aux résistants, aux petits.

Si je fais des films, c’est parce que j’aime le cinéma, mais il y a aussi quelque chose en moi qui croit au changement social, à la transformation par les arts.
Est-ce possible de changer notre façon de penser et de rêver ? Notre façon d’imaginer la réussite d’une autre manière que par l’American dream ?
Depuis que le rêve industriel existe, il est critiqué. Les luddites l’ont fait dès le début de la Révolution industrielle. Ils s’opposaient aux machines qui remplaçaient les humains. Je pense, j’espère, qu’on est arrivé au bout de cette logique économique qui menace maintenant notre existence…

Mais est-ce vraiment la fin du capitalisme ? La consommation se porte très bien…

Les transformations sociales sont toujours le lot d’une minorité, de gens qui sont 5 % ou 10 % d’une société. Même si les propos des intervenants de la série ne sont pas dits dans une perspective politique, le fait de les mettre ensemble, c’est de la politique.

Le cinéaste Pierre Perreault disait souvent : « Pour être une société comme on veut qu’elle soit, il faut commencer par la nommer, la dire, la raconter. » Et c’est ce que je fais. Moi, je raconte une société que j’espère.

Et cette société prend la forme d’une social-démocratie…

Je crois que la social-démocratie est l’aboutissement des résistances depuis la Révolution française. Au Québec, on l’a surtout construite dans les années 1960 et 1970. On est arrivés à une société plus humaine, plus douce, plus responsable que d’autres et on ne va pas lâcher. Mais on est à un tournant. La corde nous glisse entre les mains, le privé s’ingère dans le système de santé. Nos élites sont de plus en plus des gens d’affaires. Le gros bon sens sur la place publique ressemble de plus en plus au gros bon sens des HEC. Je pense que c’est un danger.

Il faut que la société civile progressiste retrouve sa place au centre du projet de société.

Et comment voyez-vous cette social-démocratie ?

C’est avant tout de prendre soin des plus petits, des plus pauvres. L’éducation et la santé sont donc les aspects les plus importants pour que le projet de société soit démocratique. À cela, il faut ajouter le volet environnemental, pour notre santé, notre bonheur et aussi notre survie.

L’État est le gardien de la solidarité. Quand on regarde l’histoire des humains, on a tendance à laisser l’avidité reprendre le dessus. Donc, faut un État fort pour être le garant de la solidarité.

Je suis confiant malgré tous les problèmes au Québec. Les travailleurs et ceux au bas de l’échelle sont encore assez en contrôle. Mais c’est un signal d’alarme que lancent les intervenants de la série.

Un des problèmes, c’est que le passage du flambeau de la part des baby-boomers ne se fait pas bien. Il faut aviver l’esprit de résistance. Faut comprendre que l’esprit de la sociale démocratie doit être continuellement défendu.

Quelle serait votre réingénérie de l’État ?

De retourner le pouvoir à la base. Faut donner le pouvoir aux régions, aux communautés, aux hôpitaux.

Par exemple, la création des CLSC, c’était une maudite bonne idée, mais on l’a laissée tomber. Environ 13 % du budget de la santé au Québec va aux CLSC. Au Danemark, des cliniques similaires gèrent 75 % des budgets pour la santé. Elles réussissent à être plus à l’écoute de leur milieu, à faire davantage de prévention.

Mais qui va le faire ?

Il y a une stagnation au niveau politique. Le PQ a un beau programme, mais ça fait 20 ans qu’il ne l’applique pas. L’ADQ, c’est une réaction épidermique à la stagnation, mais qui va à un autre extrême. Qui est bête. Qui retourne vers le duplessisme. Le PLQ manœuvre habilement dans le statu quo.
Puis t’as Québec Solidaire (QS) et le Parti vert qui proposent des idées radicales, mais qui sont libres de toute attache. Et je m’identifie à eux. Je trouve que QS voit les limites de la mondialisation, les limites de la planète. Pour moi, QS est une voie intéressante et nécessaire pour le débat démocratique. Mais le grand malheur de la gauche, c’est le déchirement.

Vous avez parcouru le Québec pour votre série. Le malaise en région est-il réel ?

Oui, c’est clair. Il y a une polarisation entre les gens de la ville et ceux des régions. Parfois, il y a des groupes environnementaux déconnectés de la réalité des travailleurs en région. Ce fut le cas de Greenpeace, lors de son coup d’éclat au Saguenay concernant l’industrie forestière.
Plus généralement, il y a un problème d’interaction entre le corps et l’esprit. Entre l’esprit, la ville, où sont concentrés les cerveaux et les technologies, et le corps, les régions, qui fournissent la nourriture, les ressources naturelles et ce qu’on boit, ce qu’on respire...

Pour que ce projet de social-démocratie se fasse, est-ce qu’il faut que le Québec devienne souverain ?

La série ne se penche pas sur cette question, mais je crois aux petits ensembles. Le Québec est suffisamment distinct pour être un pays. Et une grosse partie de nos pouvoirs sont à Ottawa. Cela limite nos capacités de construction du pays.

Est-ce que vous aimeriez faire de la politique ?

Un jour, oui. Faut pas laisser la politique aux professionnels de la politique et aux gens d’affaires. Je vois la politique comme une responsabilité et un sacrifice qui ne devraient pas dépasser deux ou trois mandats. Sinon, ça produit des André Boisclair, qui ne sont que des machines à relations publiques.


Manifestes en série est présenté au Canal D en avril et mai 2008

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