Esther Mujawayo est une survivante du génocide tutsi qui a eu lieu au Rwanda en 1994. En visite au Canada, elle était de passage à Montréal au moment où l’on marquait le dixième anniversaire d’un des plus horribles événements du XXe siècle, 50 ans après la Shoah. Huit cents mille Tutsis massacrés à la machette en quelques semaines, au vu et au su de chacun d’entre nous alors confortablement assis devant son téléviseur à se dire que ce n’est pas possible, que c’est horrible. Quelques décennies plus tôt, six millions de juifs assassinés pendant les cinq ans que durèrent la Seconde Guerre, alors qu’il était encore possible de prétendre que nous n’étions pas au courant.
Esther Mujawayo a survécu avec ses trois filles au génocide. Mais pas son mari ni le reste de sa famille et de sa belle-famille. Aujourd’hui remariée, elle vit en Allemagne mais continue de se battre pour les rescapés du génocide, pour que justice soit rendue certes, mais surtout pour qu’il y ait réparation. « La réconciliation est un mot vide, ce qu’il faut c’est trouver le moyen de cohabiter », affirme doucement en entrevue, mais sans équivoque, Esther Mujawayo. La survivante est une femme de caractère et de tête, pas de doute. Elle a beaucoup à dire, beaucoup à blâmer. Elle pointe du doigt, accuse les coupables, tous les coupables : les responsables du génocide, exécutants et leaders (dont plusieurs diplômés de l’Université Laval), les Nations unies, la France, la Belgique, le Canada, les États-Unis, pour avoir sciemment laissé faire. Et pour continuer de laisser faire. Maintenant, explique celle qui après le génocide a fondé l’Association des veuves du génocide d’avril, les veuves sont nombreuses à être atteintes du sida, transmis par viol lors du génocide. Elles meurent faute d’avoir droit à la trithérapie, contrairement à leurs bourreaux détenus à Arusha. La colère d’Esther est sans fin.
Dix ans plus tard, elle a choisi d’écrire avec l’appui de Souâd Belhaddad, journaliste d’origine algérienne, « pour ne pas qu’on dise qu’on n’a pas su. Il y a la mémoire là-dedans. Ceux qui sont morts ne sont pas des numéros, ils ont des noms. »