Mai 2002, métro Plamondon. Un étudiant noir doit se rendre à l’université remettre un travail de fin de session. Il se présente au guichet et montre sa carte d’accès à tarif réduit. Avant même qu’il n’ait le temps de présenter sa carte étudiante, qu’il doit montrer pour justifier son droit au tarif réduit, le jeune homme est arrêté par deux agents de sécurité du métro. On lui reproche de ne pas avoir montré sa carte étudiante assez vite.
L’étudiant proteste, tente de s’expliquer, mais plus il se justifie, plus les deux agents s’énervent. Ils lui déchirent son travail, le brutalisent et lui assènent des coups au visage. Parce qu’il a appelé à l’aide, on l’accusera ensuite d’avoir crié dans le métro. « Un cas de discrimination raciale flagrant », selon Me Yola Pierre-Jérôme, conseillère juridique responsable du dossier.
C’est l’un des cas les plus sévères de discrimination dans le métro qui est présentement entre les mains du CRARR. Même si l’utilisation d’une telle violence physique n’est pas chose courante, ce cas particulier révèle néanmoins une réalité préoccupante. Selon le CRARR, les cas d’interpellations discriminatoires et d’arrestations arbitraires de jeunes d’origine ethniques différentes seraient de plus en plus fréquents dans les couloirs du métro de Montréal. C’est pourquoi le CRARR a décidé de créer un groupe de travail pour dresser un portrait de la situation actuelle, défendre les victimes et lutter contre le « profil racial ».
Profil racial
Mieux connu aux États-Unis sous le nom de racial profiling, le profil racial est une pratique de sécurité publique qui utilise l’origine ethnique ou nationale afin de déterminer qui sera sujet à des interpellations, des fouilles ou des arrestations de manière routinière, systématique, abusive et discriminatoire. Au sud de la frontière, il a été démontré que les jeunes de couleur sont 10 fois plus arrêtés, fouillés ou contrôlés que la moyenne de la population.
« Le problème de "profil racial" n’est pas nouveau dans le réseau de la Société de transport de Montréal (STM), affirme Fo Niemi, directeur général du CRARR et co-président du groupe de travail. Mais devant les nombreux cas qui nous ont été rapportés, il est maintenant temps d’agir. »
Il n’existe pas de données statistiques précises sur le nombre de cas de discrimination raciale dans les stations de métro. La STM affirme que cinq plaintes ont été officiellement déposées depuis janvier 2001, tandis que le CRARR parle plutôt de 12 cas rapportés depuis le début de l’année. C’est sans compter tous les autres qui n’ont pas été dénoncés, les victimes ne sachant souvent pas où s’adresser. Roderick Carreon, de l’Association des jeunes Philippins et membre du groupe de travail, affirme qu’« il y a eu environ 80 cas de discrimination parmi une communauté philippine composée de 500 jeunes » dans le quartier du métro Plamondon.
« Le groupe n’a pas été créé pour accuser, mais bien pour tracer un portrait du problème actuel, affirme Jean-Frantz Benjamin, aussi coprésident du groupe de travail. Le but est de mettre sur pied une documentation quantitative permettant de mieux cerner la situation et d’améliorer la qualité de vie dans le métro. »
Plan d’action
Le groupe de travail entend développer un plan d’action pour lutter contre les pratiques de sécurité publique basées sur la race, qui comprend l’assistance juridique, la sensibilisation, l’action politique et législative ainsi que de la recherche et documentation. Toutes ces actions visent à fournir à ces jeunes qui sont fréquemment harcelés une ressource où ils peuvent s’adresser, envers laquelle ils ont confiance.
L’impact psychologique de ces pratiques discriminatoires n’est pas à négliger. Noureddine Razik, criminologue, intervenant en protection de la jeunesse et membre du groupe de travail, donne l’exemple de la communauté arabe, particulièrement ciblée depuis le 11 septembre : « On a assisté à une augmentation des vérifications et des fouilles dans les aéroports, les lieux publics, les transports en commun. Les jeunes et les familles arabes ont peur de sortir, par crainte de se faire traiter de terroristes. C’est plus que des chiffres, c’est un sentiment qui est trop généralisé. »
Prochaine étape
Pour certains de ces jeunes, les conséquences d’arrestations parfois injustifiées dépassent l’aspect psychologique. Pour un résident permanent en attente de sa citoyenneté canadienne, une arrestation conduit à un dossier criminel et élimine toutes ses chances.
La prochaine étape est d’entamer le dialogue avec la STM, lorsque des données précises seront recensées. Un des buts du groupe de travail est de faire inclure dans la formation des agents de sécurité un volet sur le « profil racial », comment le reconnaître et surtout comment l’éviter.
Serge Dupont, des relations publiques de la STM, reconnaît que le programme de formation des agents devra être révisé. « La formation sur les relations avec les minorités ethniques ne se donne plus depuis sept ans. Nous travaillons présentement à la refonte de ce cours et nous reconnaissons qu’il y a un besoin de mise à jour dans la formation de nos agents ». Il déplore cependant le fait que la STM n’ait pas été consultée ni invitée à faire partie du groupe de travail mis sur pied par le CRARR.
Il semble que les cas de discrimination raciale pratiquée par des agents de sécurité ne se limitent pas qu’aux transports en commun. Depuis l’annonce de la création du groupe de travail, M. Fo Niemi affirme que plusieurs autres cas ont été dénoncés. Contrairement aux jeunes Blancs, des jeunes des minorités ethniques se feraient régulièrement arrêtés dans les rues par des policiers, pour simple vérification.