À Baitadi, Jumla et Dadeldhura, trois districts situés à des centaines de kilomètres à l’ouest de la capitale, les conditions de vie sont rudes, primitives, et la population est aux prises avec des problèmes de nutrition et d’accès à l’eau potable. Dans ces régions extrêmement reculées, femmes et enfants connaissent des taux de mortalité et de morbidité parmi les plus élevés du monde.
La nutritionniste Peggy Hefford partage son temps entre Katmandou et le « Far West » népalais. Sur le terrain, cette Torontoise forme des villageoises qui travaillent dans de petits centres de nutrition. « Les stéréotypes sont puissants, constate-t-elle. Les garçons sont souvent bien mieux nourris que les fillettes... »
Travaillant pour le Community Health Initiatives (CHI), un projet de santé communautaire implanté par le Centre d’études et de coopération internationale (CECI), elle explique : « Nous enseignons aux femmes l’importance de bien se nourrir, en particulier durant la grossesse et l’allaitement. » Anémie, diarrhées, infections respiratoires, carences en fer et en vitamine A ; une série de fléaux sont progressivement jugulés dans des dizaines de villages grâce à la création de latrines et de potagers, ainsi qu’à l’installation de fours sans fumée et de systèmes facilitant l’accès à l’eau potable. En trois ans et demi, ce projet, qui a débuté en 1998, est parvenu à guérir près de 4 000 enfants souffrant de malnutrition.
Négligence
Éminente obstétricienne, Dre Kanti Giri fut la toute première gynécologue népalaise, à l’orée des années 60. Depuis, elle s’acharne à améliorer les ressources médicales offertes aux femmes de son pays. En 1975, elle innova avec la mise sur pied d’une formation pour les sages-femmes traditionnelles. « Encore aujourd’hui, dit-elle, environ 12 Népalaises meurent chaque jour des suites d’une grossesse ou pendant un accouchement, alors que le pays ne compte que 24 millions d’habitants. Moins de 10 % des Népalaises reçoivent l’aide de personnel qualifié lorsqu’elles accouchent. » L’État reconnaît le problème et en a fait une priorité nationale au cours de la dernière décennie. Cependant, pas moins de neuf gouvernements se sont succédé depuis 1990, et ces derniers semblent avoir bien d’autres chats à fouetter avant de s’attaquer aux multiples problèmes sociaux.
Selon Leela Khanal, anthropologue népalaise, le fait que son pays détienne l’un des plus hauts taux de mortalité maternelle est un symptôme criant de la négligence et de la discrimination de la société envers les femmes. Elle explique : « Si les causes médicales sont effectivement nombreuses : hémorragies, infections, avortements périlleux, etc., les causes sociales, elles, sont majeures. »
En offrant des cours d’alphabétisation intégrant diverses connaissances de base, le projet canadien contribue à donner du pouvoir aux femmes sur leur existence, et sur la santé de leur famille. En parallèle, le CHI fait la promotion des facteurs essentiels à une maternité sans risques. Les villageoises apprennent comment se servir d’une trousse médicale de base pour les accouchements, et comment réagir face aux complications. Également auteure d’ouvrages multiples sur la sexualité, la grossesse et le mariage, Leela Khanal insiste : « Il faut changer les mentalités, tout en offrant une aide médicale concrète. »
Théâtre
« Dans les villages où les femmes ont fréquenté les ateliers d’alphabétisation, elles sont beaucoup plus articulées, affirme Hari Har Sapkota, l’un des agents de projet du CECI. Elles n’hésitent pas à exprimer leurs besoins franchement. Ailleurs, c’est du jamais vu ! »
M. Sapkota croit grandement aux effets bénéfiques du théâtre de rue pour changer petit à petit des comportements ancestraux. « Ce n’est pas tout d’installer des latrines, précise ce dernier, il faut convaincre les gens de l’importance de les utiliser ! Le théâtre et l’humour se sont avérés de précieux outils. » Plus de 14 000 villageois ont pu ainsi assister à des performances éducatives, jouées par des comédiens recrutés dans la région.
Si l’aide canadienne au Népal va bon train, on pourrait nourrir quelques appréhensions quant à la poursuite des projets. « Les besoins sont plus criants que jamais et la situation actuelle présente de grands défis. Nous travaillons par ailleurs à l’élaboration de nouveaux projets », explique Odette Gauthier, à Katmandou. Ancienne chef du projet, elle habite la capitale népalaise depuis une dizaine d’années. Cela dit, le CECI a su former des Népalais au sein même des collectivités, procurant ainsi autonomie à la population locale et, surtout, longue vie aux changements apportés.