Privés du pétrole bon marché fourni par l’Union soviétique et de ses produits dérivés comme les engrais et les pesticides, les Cubains ont été forcés de délaisser le modèle agro-industriel pour se tourner par nécessité vers des pratiques plus durables et mieux adaptées aux besoins de la population avec les jardins urbains.
Puisque 80 % des Cubains sont urbains, ce sont d’abord les villes qui ont dû trouver rapidement un moyen de produire la nourriture nécessaire. Afin de favoriser le développement de jardins productifs, l’État a permis, sans frais, l’utilisation de terrains vacants pour cultiver des fruits et des légumes.
Le résultat : la Havane et toutes les autres villes de l’île ont maintenant des jardins qui sont bien insérés dans le tissu urbain. On y cultive par exemple des tomates, des carottes et des laitues, une variété de fruits tropicaux ainsi que des plantes aromatiques, médicinales et ornementales. « Nos produits sont d’une grande qualité, explique Orelvis Bernal, responsable de jardins à Sancti Spiritus. Nous n’utilisons aucun produit chimique. Nous faisons notre propre compost. »
Les fruits et légumes sont donc d’une fraîcheur incomparable parce qu’ils sont soit vendus sur place ou dans des commerces à proximité. Pour le consommateur, les produits récoltés à maturité sont meilleurs. Ils n’ont pas été entreposés, réfrigérés ou transportés sur de longues distances. Ceci facilite aussi la vie des agriculteurs. Ils ne se préoccupent ni du stockage ni du transport, qui nécessitent des infrastructures (entrepôts, routes) souvent déficientes ou qui engendrent des coûts en carburant impossibles à payer.
Dans un pays où le rationnement existe toujours, et où les œufs et le fromage sont souvent absents des tablettes, ces jardins urbains permettent de diversifier l’alimentation des Cubains.
Les bienfaits de l’encadrement de l’État
Selon Ismaël Hautecoeur, le responsable du programme d’agriculture urbaine Des jardins sur les toits chez Alternatives, le modèle cubain fonctionne parce qu’il a été encouragé par l’État : « Les jardins sont entretenus par des professionnels. Ce ne sont pas des jardiniers du dimanche. De concert avec des agronomes et des chercheurs, ils redécouvrent des semences ancestrales pour avoir des plantes qui poussent sans pesticides ou engrais chimiques, parce que les semences industrielles ne fonctionnent pas sans cela. Leurs expérimentations leur ont permis d’atteindre une très bonne productivité. »
L’État a aussi offert l’encadrement institutionnel et technique pour encourager les citadins à produire dans des jardins communautaires. Les citoyens peuvent se procurer des semences dans de petits commerces étatiques qui fournissent aussi des conseils. Des spécialistes se déplacent pour offrir des formations à ceux qui veulent faire pousser des fruits et des légumes.
En plus de fournir de l’emploi aux agriculteurs urbains qui obtiennent un salaire décent, ces jardins contribuent à améliorer paysage et qualité de vie en ville : les terrains vagues sont remplacés par la verdure.
Ce modèle pourrait donc être exporté, selon Ismaël Hautecoeur. « L’idée, c’est d’intégrer ces jardins dans l’urbanisme des villes. Faut pas que ce soit une mesure temporaire. Le danger, c’est que tout ça soit abandonné si la situation économique s’améliore. »