« Socialisme du XXIe siècle » en Équateur

jeudi 27 novembre 2008, par Jorge Leon

Le président de l’Équateur, Rafael Correa, est l’un des leaders de la nouvelle gauche latino-américaine. Il jouit toujours d’une immense popularité, deux ans après son élection en décembre 2006.

Le président Correa brouille les limites entre gauche et droite, notamment parce qu’il n’est pas un proche des organisations contestataires, même s’il est devenu leur représentant. Il est, cependant, le fruit de leurs actions qui depuis longtemps ont tenu tête aux réformes axées sur le marché.

Derrière le discours social de Rafael Correa, on peut retrouver la doctrine sociale de l’Église catholique. Fier d’avoir été scout et d’avoir étudié chez les salésiens, le président équatorien a développé son engagement durant sa période universitaire quand il a travaillé pour une mission dans un village autochtone. Catholique pratiquant, il rejette l’avortement, mais considère normal que les homosexuels aient le droit de former un couple sans adopter des enfants. D’un premier abord, Correa représente un nouveau mariage gauche-catholicisme. Il défend toutefois clairement un État laïc et il n’a pas de problème à se brouiller avec les évêques qui rejettent ses positions.

La formation de son gouvernement révèle un axe de modernisation et d’engagement social. La moitié des ministres sont des femmes, dont une autochtone. L’un d’eux est noir. Ils sont jeunes et bardés de doctorats, tout comme Correa, docteur en économie de l’Université d’Illinois. Plusieurs membres de son équipe sont écologistes. Ses ministres sont issus de toutes les régions. Ce sont des gens de classes moyennes, non pas de familles aux grands patrimoines ou aristocratiques, sauf exception. Ils incarnent un changement de génération.

Le mouvement politique qui l’a porté au pouvoir, Alianza Pais (AP), est un regroupement d’organisations sociales et de quelques partis de gauche. Ces organisations contestataires et alternatives s’identifient avec le gouvernement par son discours nationaliste, anti-impérialiste, favorable à la répartition de la richesse et à un rôle central pour l’État.

Actions et politiques publiques

Le gouvernement de Rafael Correa veut réorganiser l’État pour qu’il ait un rôle de régulation et d’intervention significatif. Il s’agit de mettre fin au désordre créé par ce que le président appelle « la longue nuit néolibérale ».
Dans cette vision néokeynésienne, l’État ne doit pas étatiser, sauf exception. Il doit orienter ou inciter par la planification publique. Par exemple, il peut s’engager dans des domaines comme la production d’électricité ou l’extraction de pétrole pour garantir que les services soient rendus à l’ensemble de la population ou pour assurer des rentrées fiscales. Le gouvernement est d’ailleurs très actif. Les travaux publics ont augmenté à un point tel qu’il manque de ciment ! Le but à long terme est de renforcer l’économie nationale pour que le pays ne soit plus un simple exportateur de ressources naturelles et devienne énergétiquement autonome d’ici dix ans.

Les politiques sociales demeurent une priorité pour le gouvernement équatorien afin de réduire la pauvreté, améliorer la santé, l’éducation, le logement et l’environnement. Le budget dans ces domaines a presque doublé. Correa a rempli ses promesses grâce aux mirobolants revenus pétroliers. Mais l’augmentation des dépenses prévues, combinée à la chute actuelle du prix du pétrole, remet en question ces généreux plans gouvernementaux.

À bien des égards, ces propositions ressemblent aux projets des années 1970 des militaires nationalistes, modernisateurs à l’époque. Elles ressemblent aussi aux socialismes européens du 19e siècle en ce qu’elles définissent un cadre général afin que le secteur privé se développe et que les entrepreneurs nationaux acceptent les responsabilités et les normes de l’État en échange d’une reconnaissance de leurs droits.

D’un point de vue politique, Correa a gagné aisément deux référendums depuis son élection en 2006. Le premier pour mettre sur pied une assemblée constituante chargée d’écrire une nouvelle constitution ; le second pour approuver la Constitution.

L’appel à une assemblée constituante lui a permis de contourner l’opposition du Congrès et de faire une Constitution qui, en plus d’affirmer de manière inédite un État plutinational et pluriethnique, donne plus de pouvoir à l’exécutif. Le but de sa coalition politique est ce qu’il appelle « la révolution citoyenne », qui mettrait de côté les partis et, en principe, établirait une nouvelle éthique publique pour résoudre les grands problèmes du pays avec l’active participation citoyenne.

En créant le Conseil de participation citoyenne et de contrôle social, formé de citoyens indépendants des partis, la nouvelle Constitution a institué un véritable quatrième pouvoir d’État. Ce conseil a reçu des compétences qui étaient autrefois du ressort du législatif. Il pourra même prendre des initiatives législatives ou avoir un droit de regard sur toutes les activités de l’État. Une compétition entre ce nouveau pouvoir et le législatif est prévisible.

Grâce à la nouvelle Constitution, le président pourra être réélu. En 2009, le pays va élire tous ses représentants à tous les niveaux. On escompte une large victoire du gouvernement et le commencement d’une nouvelle période pour Correa qui veut rester 12 ans au pouvoir.

Premières dissensions au sein de son équipe

Rafael Correa est en froid avec une bonne partie de son mouvement Alianza Pais, notamment avec les écologistes et les autochtones. Il veut exploiter les principales réserves du pétrole dans des zones protégées de l’Amazonie. Correa est aussi devenu le principal allié des compagnies minières, malgré les impacts environnementaux liés à cette industrie. Correa ne lésine sur rien pour renforcer cette économie d’extraction au détriment des autres alternatives, sans doute plus exigeantes et aux résultats non immédiats.

Malgré tout, Rafael Correa reçoit l’approbation de 70 % de la population équatorienne, alors que les présidents antérieurs en obtenaient moins de 30 %. Dans un pays qui, au cours des 12 dernières années, a eu 7 présidents dont 3 démis à la suite de protestations populaires, la frustration et la méfiance politique sont vives. C’est précisément cela qui explique la popularité de Correa, qui promet de l’ordre et du changement avec un discours antiparti. Selon lui, les partis seraient les responsables des problèmes de l’Équateur.

Fort de la perte de légitimité des partis politiques, Correa fait de la lutte politique un choix entre le bien et le mal. Si on n’est pas avec lui, on est contre lui. Plutôt autoritaire, il ne parvient pas encore à faire une place aux débats propres à la démocratie. Il alimente une polarisation constante contre ses opposants, et dans le plus pur style populiste, il se constitue en leader, en communication directe avec la population, sans la médiation d’une organisation politique. Le gouvernement s’oppose à toute forme de corporatisme, qu’il vienne de la chambre de commerce, d’associations de professionnels, de paysans, d’autochtones, de femmes... L’État, pour Alianza Pais, devrait garantir l’égalité de tous sans privilège pour personne.
Le président veut donner l’image d’un pouvoir incontesté parce qu’il dispose de l’appui populaire. Ceci lui donne la légitimité afin de se placer au-dessus de la loi. Dans son entourage, on considère que pour réaliser les changements nécessaires, un pouvoir de ce type est essentiel.

Changement d’époque

La période Correa, c’est la fin du dogmatisme du marché et l’émergence d’une autre époque, qui met en valeur plus de régulation. Ce socialisme du XXIe siècle, sans filiation idéologique nette, a recours à des valeurs du passé comme la nation ou la religion autant qu’aux idées contemporaines. En faisant de la lutte contre l’inégalité sociale sa priorité, ce socialisme généreux, et sans véritable plan pour répondre à tant de besoins, est invivable sans une économie solide.

L’aspect populiste autoritaire de Correa rappelle un vieux problème en Amérique latine : la difficulté d’intégrer démocratie et changement social. Devant le poids des oligarchies, il y a la tendance à privilégier le poids d’un caudillo. Le rapport direct de celui-ci avec la population, en court-circuitant les partis politiques, finit par vider la politique et la convertit au seul choix d’appuyer les causes du leader, alors que les acteurs actifs de la société perdent de leur dynamisme.


L’auteur est analyste politique au Centre de recherche sur les mouvements sociaux de l’Équateur.

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