Le Conseil des gardiens a disqualifié 3 600 candidats aux élections législatives du 20 février prochain, sur un total de 8 150 participants (dont 80 députés sortants). Or, malgré la désaffection populaire à l’endroit d’un gouvernement réformateur incapable de résister aux offensives de la faction conservatrice minoritaire, cette dernière ne pouvait pas compter que sur l’abstention massive de la population pour s’assurer une majorité. Il lui fallait truquer aussi le processus de mise en nomination.
Le refus de la télévision d’État de parler de cette crise ajoute à la déconfiture du régime. L’occupation du Parlement par les députés visés et la levée de boucliers parmi les adhérents de la réforme dont une importante fraction du clergé ont refroidi les ardeurs des conservateurs. Si le Conseil ne revient pas sur sa décision, ce qui représenterait une défaite politique de taille, le risque que la population boude le scrutin est plutôt élevé. Ainsi, les conservateurs se donneraient une majorité factice à la chambre. Un tel événement conduirait à l’isolement total du président Mohammad Khatami, déjà vivement critiqué pour son attentisme. Il sonnerait le glas du mouvement réformateur parlementaire, déjà passablement amoché par son incapacité à apporter une solution aux problèmes engendrés par l’inflation et le chômage. En revanche, il laisserait la faction conservatrice porter l’odieux et la responsabilité de la gestion de la crise.
Un fin stratagème ?
D’autres y flairent un fin stratagème pour stimuler les ardeurs des citoyens. Sous ce jour, la disqualification des candidats ne serait qu’un vulgaire marchandage grâce auquel le Guide obligerait le Conseil des gardiens à réviser symboliquement sa position et à reconduire les députés exclus dans leur fonction, tout en laissant de côté les autres. Il montrerait non seulement son emprise sur le jeu politique, mais se poserait en arbitre. Si tel était le cas, l’engouement des citoyens pour la démocratie serait restauré, prétend-t-on, et la participation ne s’affaisserait pas. Les apparences seraient ainsi sauvées, notamment celle d’une certaine démocratie conçue en termes de jeu parlementaire. Tel est le sens de la décision du président Khatami de refuser la démission de certains membres de son Conseil de ministres.
Que la crise soit immédiate et grave, ou potentielle, la République islamique s’enfonce dans un processus de « réingénierie » qui risque de donner plus de pouvoir aux forces autoritaires non-élues à long terme, mais aussi d’anéantir les forces de la réforme politique dans l’immédiat.
Les députés ont voulu, par leurs moyens de pression, provoquer une rupture avec le système, gagnant ainsi l’appui des citoyens. Mais devant l’occupation du Parlement, les citoyens n’ont pas jugé bon de réagir. Personne n’est venu à la « maison de la nation » les soutenir. Un geste qui visait à reprendre l’initiative a sombré dans l’indifférence et le cynisme. « Trop tard », nous a déclaré un des militants de la réforme de la première heure.
Si, dans un geste de mansuétude, le Guide lui-même renversait la vapeur par le biais d’une intervention modérée, le jeu parlementaire pourrait reprendre et les élections auraient lieu. Mais ce jeu resterait strictement confiné à la chambre, et à la merci du Conseil, d’un intégrisme exemplaire, qui passe toute loi au peigne fin. Le nouveau Parlement, édenté, voire humilié, ne pourrait plus s’opposer à la mainmise des conservateurs sur les grands dossiers de l’heure : celui de la mise à jour de la réforme à la sauce néolibérale, et celui d’un règlement à l’amiable avec le « Grand Satan » d’antan, les États-Unis.
Fred A. Reed