Plus que jamais, la scène artistique montréalaise a la volonté de faire le pont avec les arts autochtones et ouvrir ses portes à ce milieu trop peu connu dans la métropole. Rassemblées au Conseil des Arts de Montréal mardi après-midi, six artistes autochtones de communautés diverses ont partagé leur rêve d’un centre artistique autochtone interdisciplinaire et interculturel qui devrait voir le jour le 21 juin 2017, date de célébration de la journée nationale des autochtones. Pour l’instant, le projet est à l’état embryonnaire, mais la motivation et les idées novatrices sont au rendez-vous.
Non pas que les Premières nations soient exclues du milieu artistique montréalais, mais leur art n’est souvent que de passage dans les centres culturels et les festivals ou reste peu connu lorsqu’il s’implante dans la grande métropole. « Il y a un mur de l’ignorance à briser », croit Catherine Joncas, auteure, metteure en scène et co-directrice de la compagnie de théâtre autochtone Ondinnok. « Pour beaucoup de gens, l’art autochtone se limite à l’artisanat. En ce moment, on perçoit cette forte volonté de travailler ensemble pour agrandir la portée de l’art autochtone à l’extérieur de son milieu actuel », explique-t-elle.
Pour se faire, l‘idée qui ressort est de regrouper ces initiatives pour développer une nouvelle synergie qui rayonnerait hors des murs de la ville et atteindrait un public plus large. En parallèle au Centre d’amitié autochtone de Montréal déjà en place depuis 2012, ce nouveau centre serait un point de rencontre et se concentrerait sur le rayonnement de l’art, du patrimoine et des échanges avec les Premières nations. Aux yeux d’André Dudemaine, directeur des actions culturelles de Terres en vues et fondateur du festival Présence autochtone, c’est le moment plus que jamais de prendre le temps de se poser et de partager.
Rêvons sérieusement
« Quand on écoute tout le monde, on réalise qu’on rêve le même rêve », constate avec la sagesse de ses 66 ans Joséphine Bacon, poète innue. Nature, liberté, partage, justice et égalité sont les mots d’ordre portés par le rêve que soit créé un lieu commun à tous les autochtones à travers le Canada. Même si le centre sera pensé et créé par les Premières nations, les artistes présentes à la table ronde rêvent d’une grande maison ouverte à tous, autochtones ou non, canadiens ou non. « Ce serait un lieu où nous pourrions dialoguer entre différentes nations ainsi qu’avec les artistes autochtones des autres pays », exprime Caroline Monnet, artiste visuelle et cinéaste algonquine. Catherine Joncas croit qu’il est essentiel de faire attention que les Montréalais ne se disent pas que ce qui concerne les autochtones n’est pas pour eux. « Ultimement, ce qu’on veut, c’est tous se rassembler », explique-t-elle.
Les six femmes autochtones ont une idée très claire de l’image du centre. Elles voient un lieu de partage et de création pour tous, porté par l’innovation sociale, technologique et écologique. Un centre autosuffisant convivial, familial et accessible, mais qui fait la liaison avec les autres ressources et groupes de la ville. Intégré dans l’espace, une salle de danse, un studio de sérigraphie, un cabaret qui permet l’interaction avec le public, une radio autochtone indépendante et une sorte de cinémathèque des Premières nations où tous pourraient s’exprimer ouvertement. « Un lieu où il n’y a jamais de clé dans la porte et où tu rentres comme si tu étais chez toi », espère Joséphine Bacon. Un lieu où poésie, musique, slam, peinture, écriture, théâtre et toutes autres formes d’art se côtoieraient. « Nous pourrions avoir notre propre école ou l’on enseignerait les langues et cultures autochtones », rêve la poète innue. Des jardins sur les toits, un énorme potager et des plantes médicinales pour apprendre à les cultiver en communauté, en plus d’une école de cuisine pour redécouvrir la cuisine autochtone tout en la réinventant. « Créer ensemble, mais aussi se réunir autour de la table parce que c’est un moment privilégié pour connecter les uns avec les autres », précise Caroline Monet.
Ce centre qui regrouperait non seulement les 11 nations autochtones québécoises, mais aussi celles des autres provinces, puisque les cultures des Premières nations des Amériques ne sont pas délimitées par les frontières imposées par les empires coloniaux. « Ces frontières ne sont ni les nôtres ni celles de la nature, défend Véronique Hébert, auteure et dramaturge Atikamekw. C’est pourquoi nous devrions symboliquement ouvrir les frontières pour qu’il y ait une réelle relation unissant et unifiant toutes les Premières nations. » Sur le mur, on contemplerait une énorme carte du monde où il n’y aurait aucune délimitation entre les pays. Selon elle, il serait intéressant de s’inspirer des pistes de réflexion qui découle du mouvement zapatistes du Mexique pour créer ce centre unique. Un mouvement autonome autochtone qui se bat depuis plusieurs années pour conserver et faire rayonner sa culture uniquement. Une tâche ardue dans un monde où les Premiers nations perdent de plus en plus leurs langues, culture et patrimoinde. « C’est important de s’inspirer des mouvements autochtones qui ont réussi à se conserver ailleurs sur la planète », affirme la dramaturge Atikamekw.
À travers le partage de leur vision de ce futur centre, les six artistes se sont promis de se donner corps et âmes pour que ce projet voit le jour en 2017 à Montréal.