Du chrome ukrainien à la torpeur argentine

Sculpteur entre fer et feu

jeudi 27 mars 2003, par Julie GODEFROY

Sourire carnivore, regard slave, gestuelle suavement latine… Denys Tsiou ouvre la porte de son atelier. Immigré au Québec depuis 1999, après avoir traversé le régime de fer du soviétisme et les rues de Buenos Aires, le sculpteur regarde aujourd’hui Montréal, et se promet d’y forger son art.

Retracer le parcours d’un immigré, c’est avant tout entrer dans un univers atypique. Pour Denys Tsiou, la fusion des cultures laisse exploser une personnalité volcanique. La force tout d’abord d’un caractère, de celui qui grandit sous l’étau étriqué du régime soviétique. Originaire de Kiev, en Ukraine, la famille Tsiou a connu la rigidité du communisme. « Malgré tout, on vivait plutôt pas mal, confie Denys. Si on a décidé de quitter le pays, c’est par raison écologique plus qu’économique. » À 75 km de Tchernobyl, les retombées de l’accident nucléaire de 1986 hantent la population. Lors d’une exposition à Moscou, le père de Denys, illustrateur, rencontre un diplomate argentin. Sur un coup de tête, il décide de plier bagage et de faire route vers le sud.

Première étape, Istanbul. Le temps de régler la paperasse. Et puis, c’est le grand saut. Buenos Aires, le choc. « En sortant de l’aéroport, on a pris un taxi qui nous a fait traverser tous les bidonvilles… j’étais ahuri. » Difficile de se déraciner. Denys ne parle pas un seul mot d’espagnol, il ressent alors l’exclusion de l’étranger.
« Dans le système soviétique, on nous éduque à la fraternité. Le regard curieux lancé sur nous m’a d’abord troublé. » Mais petit à petit, la rencontre s’est produite.
« Il y avait comme un courant électrique entre les gens et moi. J’apprenais l’espagnol, et puis en même temps je travaillais dans une fabrique de meubles.
C’était dur, mais je commençais à vraiment aimer cette vie. » Un jour, par hasard, il s’arrête devant un atelier de céramique. « Le directeur était un ancien hippie, j’ai adoré ce qu’il faisait. Je venais de comprendre que ma vie serait dédiée à l’art ! »
Quelques années plus tard, il est admis à l’École des beaux-arts de Buenos Aires. Denys prend une nouvelle signature et devient Ucra, l’Argentin ! « C’était vraiment un rêve, un temps de création. Je me suis intégré à 100 %. Ne me parlez plus du passé, je suis Argentin maintenant ! ». Mais l’âme gitane plane sur la famille. Il suffit d’une nouvelle rencontre avec un diplomate canadien pour reprendre la route. Le petit clan Tsiou débarque à Toronto en 1999. « Tout était trop propre, j’ai détesté ! » peste Ucra. Après plusieurs escales à travers l’Ontario, Montréal s’impose. « J’ai aimé l’atmosphère, je trouvais la population différente. »

Entre-temps, il chemine aussi dans son art, s’attaque au métal. De la fougue fusionnelle naissent des personnages torturés, des formes cruellement belles, un esthétisme sauvage.

Installé aujourd’hui à Verdun, l’artiste s’est forgé un nom sur la scène locale : « J’ai suivi des cours à l’UQAM, j’ai exposé au Musée des beaux-arts, j’appartiens aussi à un groupe artistique de Verdun, les Argoulets. Et puis en ce moment, je suis en train de monter mon entreprise. » Quand Ucra observe Montréal, il y voit sa matière. « J’ai une mission, affirme-t-il avec délectation, embellir cette ville ! Montréal a un patrimoine distinct des autres villes nord-américaines, il faut le faire revivre. » À la cadence martiale du tango argentin, le feu créateur d’Ucra promet de s’attaquer aux néons et à la froideur plastique des enseignes du paysage urbain.

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