Le 17 mars, le Ministre des Finances Raymond Bachand déposait le budget du Québec pour l’exercice 2011-2012. Les annonces contenues dans le « Budget Bachand no. 2 » ont maintenu les politiques régressives de l’année précédente et ont même poussé plus avant la « Révolution tarifaire » du ministre. Voyons brièvement quelles en étaient les principales mesures et ce que l’on peut en déduire pour la trajectoire socio-économique du Québec.
L’année dernière, le premier « Budget Bachand », avait fait beaucoup couler d’encre. Rappelons-nous que le ministre lui-même avait emprunté à Mao Tsé-Toung l’expression « Révolution culturelle » pour illustrer ce qu’il entreprenait, envers et contre tous, à l’aide de son budget. Cette « révolution » avait pour prétexte la résorption du déficit budgétaire hérité de la crise économique mondiale de 2008, et elle avait pour moyen la hausse ou la création d’une pléthore de tarifs.
Mesures régressives et endettement
En fiscalité, l’impôt et la tarification s’opposent. Le premier permet une contribution progressive, c’est-à-dire, où les contribuables versent au trésor public un pourcentage de leur revenu déterminé en fonction de la taille de ce revenu. En d’autres mots, les nantis contribuent plus que les moins nantis. En revanche, les tarifs s’appliquent à tous et toutes de la même manière, sans égard à la capacité de payer (ex : à l’achat d’un produit quelconque, riches et pauvres paient le même montant de TVQ). Par conséquent, la tarification est une ponction fiscale régressive.
Ainsi, si le premier budget Bachand annonçait une taxe santé de 200$ par adulte (en 2012), une hausse de 2% de la TVQ, une hausse d’un cent le kilowattheure (2,79 à 3,79 cents) des tarifs d’hydroélectricité, une augmentation de la taxe sur l’essence durant trois ans et l’imposition d’un ticket modérateur pour l’accès aux soins de santé (finalement abandonné), le deuxième budget Bachand impose une hausse drastique des frais de scolarité à l’université.
Les étudiant-es devront donc débourser 325$ de plus par année durant cinq ans pour atteindre ultimement 3793$ en 2016-2017 (une hausse de 74%). En additionnant ces hausses à celles qui ont été imposées de 2007-2008 à 2011-2012, les droits de scolarité auront augmenté de 2125$ (127%).
Non seulement ces hausses de tarifs réduisent sérieusement l’accessibilité aux services publics, mais ces fardeaux, que l’on fait porter de façon inéquitable dans toutes les couches de la population, sont doublement préoccupant dans la mesure où les ménages se tournent de plus en plus vers le crédit pour absorber les nouvelles charges. Selon les données de Statistique Canada, le taux d’endettement des ménages par rapport à leur revenu disponible est en explosion. Frisant les 150% au Canada, le niveau d’endettement s’approche de celui observé aux États-Unis avant la dernière crise (169%).
Ainsi, alors que les salaires stagnent ou diminuent depuis 30 ans pour la majorité des ménages, le gouvernement vient participer à l’alourdissement de leur endettement et les met dans une situation périlleuse. Et comme pendant ce temps, il réduit également ses dépenses dans les programmes sociaux et n’annonce aucune mesure de lutte à la pauvreté, les Québécois-es sont de plus en plus abandonnés à eux-mêmes.
Ressources naturelles
Le budget 2011-2012 marque aussi l’année de la dernière chance pour le déploiement du Plan Nord cher au premier ministre Jean Charest. Ce projet concerne tout le territoire au nord de Rouyn-Noranda et de Saguenay (72% de la superficie du Québec). Le ministre des Finances a annoncé des investissements de 1,6 G$ dans les cinq prochaines années pour développer des infrastructures (routes, ports, etc.) devant servir à « optimiser les bénéfices que nous pouvons tirer de nos abondantes ressources naturelles ». Mais près de 90% des dépenses du Plan Nord sont liées à l’industrie minière ! Lorsque l’on connaît la désuétude complète de la Loi minière du Québec, qui n’a pas évolué depuis le 19e siècle, il y a de quoi s’inquiéter sur les objectifs entretenus par le gouvernement avec son Plan Nord.
Non seulement ces tendances économiques posent de très sérieuses questions écologiques, il faut comprendre qu’une économie « rentière » équivaut à une économie sous-développée. Les économies nationales qui développent une dépendance excessive aux royalties qui accompagnent l’extraction de ressources naturelles (ex : le pétrole au Proche-Orient ou au Venezuela) voient les autres secteurs de l’économie péricliter alors que s’amenuise la plus-value attribuable à une économie diversifiée et/ou reposant davantage sur une production plus complexe (ex : haute-technologie).
L’un des fascicules joints au budget du Québec 2011-2012 est consacré au gaz de schiste, qui a monopolisé une part de l’actualité québécoise de la dernière année. Ce choix ne peut se limiter à une volonté de « rassurer » l’opinion publique. Cette opération de charme, qui fait miroiter les retombées de l’exploitation des gaz de schiste, tend plutôt à confirmer plus avant l’incontournable nécessité, aux yeux du gouvernement et des ses alliés dans le monde des affaires, de faire progresser cette opinion publique vers l’acceptation d’une économie axée sur l’extraction.
Conclusion
Le budget du Québec est le troisième budget déficitaire consécutif. Ce déficit, en dépit du fait qu’il soit moindre que la plupart des pays occidentaux ou d’autres provinces canadiennes (dont l’Ontario), sert de justification à un virage aussi majeur qu’injustifié dans la fiscalité du Québec. Par le biais d’une tarification accrue des services, le gouvernement du Québec fait porter de plus en plus aux individus le poids des risques associés à la vie en société. Cette « réaction » (bien plus que « révolution »…) érode dangereusement toute idée de solidarité sociale et constitue l’une des charges les plus agressives à ce jour contre ce qu’il reste du modèle québécois hérité de la Révolution tranquille.
Guillaume Hébert, chercheur à l’IRIS