Le 10 novembre dernier avait lieu la manifestation nationale contre la hausse des frais de scolarité. Comme beaucoup de manifestations étudiantes, celle-ci était scruté à la loupe par l’escouade GAMMA qui en a profité pour faire des arrestations massives. Cette escouade qui est en fait un guet des activités et mouvements marginaux et anarchistes sait-elle vraiment à quoi elle s’attaque ? Sait-elle qu’elle utilise la brutalité pour contrer mouvement qui n’est pourtant pas violent ? Normand Baillargeon, militant anarchiste, nous explique comment les préjugés peuvent mener à une telle mésinformation.
Le Journal des Alternatives (JDA) : Vous êtes un militant anarchiste, que pensez-vous de la perception générale du concept d’anarchisme au Québec ?
Normand Baillargeon (N.B.) : Ça a évolué avec le temps. Lorsque j’étais jeune et que je commençais à me politiser, les gens qui militaient beaucoup étaient des communistes. J’ai donc lu dans cette tradition-là, mais je me suis aussi mis à fouiller pour découvrir ceux qui n’étaient pas d’accord. Je suis tombé sur Bakounine, Kropotkine et j’ai tout de suite ressenti de l’affection et de l’admiration pour leurs idées. Depuis ce temps, je me suis profondément associé à ce mouvement. Pourtant, à l’époque, il n’y avait pas vraiment de mouvement anarchiste au Québec, nous n’étions qu’une poignée. Aujourd’hui, énormément de Québécois se réclament anarchistes et je crois que beaucoup plus de gens ne tombent pas dans le panneau d’associer l’anarchie avec le désordre, le chaos, la violence, le terrorisme et les poseurs de bombes. C’est donc une certaine victoire, on a gagné du terrain.
JDA : Que pensez-vous de l’escouade GAMMA qui semble confondre les jeunes manifestants à l’anarchisme ? Cette escouade a-t-elle réellement la bonne définition de l’anarchisme ?
N.B. : Tout cela n’est que préjugé. Il ne suffit que d’ouvrir un journal pour se rendre compte que la violence n’est pas chez les anarchistes. Les États dans lesquels nous vivons dépensent des fortunes pour construire des bombes et des armes de destruction massive et tuent des gens par dizaines de milliers.
JDA : Croyez-vous que les médias de masse amplifient ce faux message ?
N.B. : C’est en partie vrai. Ce préjugé concernant l’anarchisme est entretenu depuis très longtemps. C’est seulement à la fin du 19e siècle qu’il y a eu un court épisode d’actions propagandistes pour le mouvement anarchiste, mais les dégâts ont été très limités et les victimes avaient en général été choisies et ciblées pour différentes raisons. Toutefois, l’anarchie est probablement la théorie politique qui a été la moins violente au cours de l’histoire et pourtant, c’est à elle qu’on fait porter le chapeau du terrorisme. Les médias ont sans doute un rôle à jouer là-dedans puisque tout ce qui a commencé au 19e siècle s’est poursuivi durant le siècle suivant. Néanmoins, les choses commencent à changer, notamment au Québec.
JDA : Les anarchistes peuvent-ils vraiment être une menace réelle pour l’autorité en place ?
N.B. : Il y a moyen d’être une menace sans toutefois utiliser la violence. Une des raisons pour laquelle les anarchistes ont été si pointés du doigt, si calomniés, si décriés, c’est parce qu’ils représentent une menace. Le pouvoir déteste que les gens se prennent en main, soient conscients des changements qu’ils peuvent amener et qu’ils soient capables de le faire par eux-mêmes. Les indignés d’un peu partout dans le monde l’apprennent à leur dépens. Quand le pouvoir se rend compte que les gens s’organisent entre eux, se réunissent, font des choses par eux-mêmes et sont capables de les implanter, il n’apprécie pas. Or, l’anarchisme est menaçant, car il porte l’idée d’une autogestion et d’une démocratie participative.
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Pour plus d’informations sur l’anarchisme et son histoire, le livre L’ordre moins le pouvoir de Normand Baillargeon, publié aux éditions LUX, est disponible en librairie.
Crédits photo : Flickr / Rae Allen