Revendiquer l’égalité devant la loi entre les femmes et les hommes porte atteinte à la sécurité nationale selon la République islamique d’Iran. Pour Parisa Kakaee, citée dans un rapport du Iran Human Rights Documentation Center, il n’existe que trois choix pour la femme activiste en Iran : « devenir inactive, se voir jetée en prison ou quitter le pays ». Kakaee a purgé une peine de sept semaines à la prison d’Evin en 2010 pour son engagement auprès des femmes.
Si le mouvement pour les droits de la femme est le mouvement le mieux établi au pays, les femmes militantes iraniennes paient cher leur activisme depuis les élections présidentielles de 2009. L’ancien ministre des Renseignements et de la Sécurité nationale, aujourd’hui procureur général de l’Iran, Qolam-Hossein Ejei, argue que le mouvement des femmes est infiltré par les puissances occidentales. En juillet 2009, l’activiste Shadi Sadr a été accusée de vouloir renverser le régime en raison de son militantisme. De nombreuses activistes, dont Shirin Ebadi, lauréate du Prix Nobel de la paix, ont été contraintes à l’exil depuis deux ans.
Si des milliers de jeunes Iraniens ont pris part à leurs premières manifestations à l’été 2009, ce n’était pas le cas des féministes iraniennes. Pourtant, la capacité de mobilisation des groupes de femmes irrite le régime islamique. Les autorités iraniennes craignent que l’expérience de ces groupes ne profite au mouvement vert, mouvement dirigé par les candidats de l’opposition Mir Hossein Mousavi et Mehdi Karroubi.
Comme rapporté par l’Iran Human Rights Documentation Center, le régime islamique mène régulièrement des arrestations, interrogations et détentions arbitraires dans un effort de démanteler le mouvement des femmes en Iran. De nombreuses activistes sont accusées d’appartenir à l’Organisation des Moudjahiddines du peuple iranien, un crime passible de la peine de mort. En 2009, une section spéciale a été créée au sein du ministère des Renseignements et de la Sécurité nationale afin de coordonner les interrogations et la détention des féministes iraniennes.
Emprisonnées, les femmes activistes subissent des traitements inhumains et dégradants. Aux cellules surpeuplées ou aux isolations prolongées s’ajoutent de nombreux cas de torture. Une fois relâchées, ces femmes le sont au prix de lourdes cautions ou se voient parfois privées de leur passeport.
De la répression à la résistance créative
Hanieh Ziaei, membre externe au nouvel Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord et chercheuse à l’Université d’Ottawa, souligne que le régime tente de « créer un climat de peur au sein de la société civile afin de freiner le mouvement de résistance des jeunes et des femmes ». Il semble que cette stratégie fonctionne, ou presque. La répression a augmenté depuis 2009, et les manifestations dans les rues sont de moins en moins fréquentes aujourd’hui.
Malgré la répression, les acteurs sociaux en Iran ont recours à des moyens de « résistance créative ». Difficile de faire autrement, alors que l’État iranien perçoit depuis la Révolution islamique de 1979 « toute forme de contestation comme une menace à l’ordre établi », tel que le souligne Hanieh Ziaei. L’Iran occupe d’ailleurs le 175e rang du palmarès de la liberté d’expression dressé par Reporters sans frontières, ex æquo avec la Birmanie. De là un parallèle peut être tracé avec les mouvements de protestation des pays arabes : Dans une société où on ne peut s’exprimer dans l’espace public, les jeunes et les femmes vont aller chercher cette liberté d’expression dans l’espace virtuel. Selon le Berkman Center de l’Université de Harvard, l’Iran détient l’une des blogosphères les plus importantes au monde en terme de cyberactivisme.
Depuis près d’une décennie, les femmes activistes iraniennes occupent l’espace virtuel afin de mener leurs revendications. La campagne Un million de signatures, lancée en 2006 en Iran et destinée à mettre en lumière les lois discriminatoires, a permis certaines avancées en ce qui a trait à la condition féminine. Toutefois, l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Ahmadinejad a porté un dur coup aux droits des femmes : durcissement du code vestimentaire, restrictions imposées aux femmes fonctionnaires, difficulté d’obtenir le divorce, et abolition de publications féminines critiques.
Ironie du sort, l’Iran siègera jusqu’en 2015 à la Commission sur le statut de la femme des Nations Unies, un organe voué à l’avancement de la condition féminine. En revanche, fruit du lobby du Canada, des États-Unis et de l’Australie, l’Iran s’est vue refuser en 2010 un siège à la nouvelle entité UN Women.
Où en est le mouvement des femmes en 2011 ?
De l’avis d’Elahé Chokrai, présidente de l’Association des femmes iraniennes de Montréal, « si plusieurs activistes ont quitté le pays, le mouvement n’est pas étouffé. C’est plutôt le calme avant la tempête. » En effet, l’Iran présente l’un des taux d’inflation les plus élevés au Moyen-Orient et se classe au premier rang en terme d’émigration de ses travailleurs diplômés d’après les statistiques du Fonds monétaire international. Élahé Chokrai souligne qu’à partir du moment où les revendications de la classe des travailleurs s’ajouteront à celles des femmes et des jeunes, la résistance reprendra en vigueur, et ce, malgré la forte répression étatique.
« Si la répression s’est accrue, elle ne pourra toutefois jamais effacer les empreintes laissées par le mouvement vert, lequel survit à travers les esprits des Iraniens », observe Hanieh Ziaei. Au regard des dynamiques politiques et économiques déchirant l’Iran deux ans à la suite des élections présidentielles, le régime islamique peinera à asseoir sa légitimité à l’été 2011. Et si les groupes de femmes par les multiples rôles qu’elles embrassent dans la société – mère, épouse, étudiante ou travailleuse – constituaient une terre fertile pour un été persan ?
Description de la photo : Une jeune femme prend part aux protestations contestant la réélection d’Ahmadinejad en juin 2009.
Crédit : Hamed Saber, Flickr