En plus de ne démontrer aucun signe d’essoufflement dans la tourmente actuelle, bien au contraire, l’économie sociale, composée de coopératives, de mutuelles et d’organismes sans but lucratif (OSBL), est fondée sur des logiques commerciales tout autres que celles ayant provoqué la crise : gestion démocratique des entreprises, rendements à la collectivité, réponse à des besoins collectifs, primauté des personnes sur le capital et développement local et durable.
L’économie québécoise regorge d’exemples de ces entreprises. En milieu rural confronté au déclin, des collectivités se mobilisent pour sauver leur village et attirer de nouveaux résidents. Les entreprises d’économie sociale jouent un rôle essentiel dans la revitalisation des milieux ruraux. À Saint-Joachim-de-Shefford, en Estrie, la population a choisi un projet coopératif de réintroduction de la culture de la poire pour revitaliser le village. Trente propriétaires ont mis en commun des parcelles de terre qui permettront à terme une plantation de 10 000 poiriers. C’est aussi une coopérative qui est responsable de l’entretien et de la cueillette. En Outaouais, la Laiterie Château, qui détenait 35 % du marché régional, annonce sa fermeture en 2006. L’ensemble de la région se mobilise pour sauvegarder les emplois, maintenir le savoir-faire local et conserver un levier de transformation agroalimentaire dans la région. Les citoyens de l’Outaouais choisissent de fonder une coopérative de consommateurs, la Laiterie de l’Outaouais, qui sera dotée d’une nouvelle usine et commencera ses opérations cette année. À Saint-Elzéar, en Gaspésie, la coopérative Contact réinvente la transformation agroforestière pour y intégrer les principes du développement durable.
En milieu urbain, plusieurs projets structurants sont en émergence. Au cœur du nouveau Quartier des spectacles, la radio communautaire CIBL s’installera au coin des rues Saint-Laurent et Sainte-Catherine. Dans le secteur de l’habitation, uniquement à Montréal, près de 12 000 logements communautaires sont en chantier ou en planification. Bâtir son quartier, un OSBL voué au développement de l’habitation communautaire, est le plus gros développeur immobilier à Montréal. À Trois-Rivières, la Société immobilière communautaire des premiers quartiers, un OSBL, a acheté l’Auberge internationale pour assurer la pérennité de l’offre d’hébergement touristique abordable de la ville. L’Auberge intégrera un volet social et environnemental au cœur de sa mission.
Crise ou pas, l’économie sociale au Québec prend de l’ampleur. Forte de plus de 7 000 entreprises, employant plus de 125 000 personnes, ayant un chiffre d’affaires au-delà de 17 milliards de dollars annuellement et représentant plus de 6 % du PIB, cette sphère économique est maintenant incontournable au Québec.
Un choix stratégique
L’intérêt grandissant pour l’économie sociale, incluant celui des pouvoirs publics, s’appuie sur plusieurs constats. En premier lieu, la nature même de ces entreprises les empêche d’être délocalisées. Elles sont issues d’une démarche collective enracinée dans un territoire, et la forme de propriété empêche la vente au plus offrant. Au moment où la stratégie d’investissements ou de prêts publics massifs pour attirer de grandes multinationales dans des communautés régionales en déclin connaît des échecs retentissants, des entreprises contrôlées par les collectivités locales prennent toute leur importance.
Rappelons qu’historiquement les entreprises d’économie sociale ont toujours démontré leur grande capacité de survie et de réponse aux besoins collectifs dans les périodes les plus difficiles. Grâce aux coopératives agricoles durant la grande dépression, l’agriculture québécoise a pu mieux traverser la crise. Aujourd’hui, l’histoire semble se répéter. Il n’est pas anodin, par exemple, que Boisaco, née de la volonté des gens du milieu de se prendre en main à la suite de trois faillites successives d’entrepreneurs, soit la seule usine de sciage toujours ouverte sur la Côte-Nord.
Une autre raison pour expliquer l’intérêt accru envers l’économie sociale est sa durabilité. Les entreprises collectives ont une durée de vie beaucoup plus longue que l’entreprise privée. Des études réalisées par le ministère du Développement économique du Québec démontrent un taux de survie des coopératives deux fois supérieures au privé après 10 ans d’existence (44,3 % contre 19,5 %). Le bilan de quelque 484 investissements du Réseau d’investissement social du Québec depuis 1997 démontre également un taux de survie qui dépasse largement celui de la PME traditionnelle.
De plus, alors que pratiquement tous les fonds d’investissement privés et parapublics ont dû éponger des pertes faramineuses dans leur bilan annuel 2008-2009, la Fiducie du Chantier de l’économie sociale, fonds de capitaux de risque uniquement au service des entreprises d’économie sociale du Québec, a présenté un bilan positif.
Les entreprises d’économie sociale québécoises ont connu un essor important depuis dix ans, une époque de grande prospérité, et elles continuent sur leur lancée même en ces temps de crise.
Québec doit en faire plus
L’enjeu est de pouvoir assurer l’accès aux instruments nécessaires pour leur développement. L’État québécois a mis en place un plan d’action en faveur des entreprises collectives l’automne dernier et a inclus dans son budget 2009-2010 quelques mesures pour favoriser le développement de l’économie sociale. Quoique saluées, ces mesures demeurent encore timides considérant le potentiel non seulement de développement de l’économie sociale, mais aussi sa capacité de redéfinir nos rapports économiques sur une base humaine dont le monde à tant besoin.
Des milliards de dollars sont sur le point d’être injectés dans des programmes d’infrastructures, dans le sauvetage d’entreprises privées traditionnelles ou dans des secteurs économiques jugés fondamentaux. L’économie sociale est perçue, pour l’instant, uniquement comme un acteur marginal de ces grandes stratégies de sortie de crise. Avec sa capacité de créer des emplois durables, de favoriser l’ancrage des entreprises localement contre les vents de la délocalisation et d’inscrire son développement dans des missions sociales et environnementales, l’État a-t-il vraiment le loisir de se priver d’un tel partenaire ?