Les cafouillages observés dans le processus de comptabilisation des résultats électoraux en Haïti s’inscrivent en continuité avec les problèmes chroniques de gestion de la crise haïtienne par la communauté internationale.
Le 7 février dernier, des millions d’Haïtiens et d’Haïtiennes se sont réveillés avant le lever du soleil et ont surmonté les obstacles qui leur étaient imposés par les nombreuses défaillances logistiques pour exprimer clairement leur volonté de changement, dans la non-violence et dans le respect du jeu de la démocratie représentative. L’irresponsabilité du Conseil électoral provisoire (CEP) et des forces d’occupation est un coup dur pour une population qui, à cause de sa douloureuse expérience historique, a toujours été amenée à se méfier des institutions étatiques. Les magouilles évidentes visant à frelater le vote populaire et forcer un deuxième tour s’avèrent un sérieux coup de poignard qui aurait pu entraîner un nouveau retard sur la route de la reconstruction.
Le contexte de la lutte politique des trois derniers mois montre le caractère de cette lutte acharnée pour le contrôle des avenues du pouvoir. Une partie des classes dominantes haïtiennes refuse que les classes populaires soient présentes sur la scène politique, et est prête à tout pour conserver un système politique d’apartheid totalement archaïque, troué de partout et qui doit être enterré définitivement. Une propagande déchaînée et sans éthique s’est ainsi abattue sur le candidat René Préval, construite sur le mensonge et la falsification des faits.
Quel contrat social peut être construit sur le refus de reconnaître la volonté populaire exprimée dans les urnes ? Quel contrat social peut être bâti sur le désir de massacre contre des quartiers populaires abritant plusieurs centaines de milliers de compatriotes vivant dans des conditions inacceptables et stigmatisés de manière globale comme des « bandits » ?
Il faut également rappeler que les élections haïtiennes, contrôlées par des institutions internationales, se sont déroulées au mépris de la souveraineté haïtienne. Le Programme des nations unies pour le développement (PNUD), l’Organisation des États américains (OEA) et la Mission des nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) ont unilatéralement pris en charge des étapes cruciales du processus électoral : la localisation d’un nombre trop restreint de bureaux d’inscription et de vote ; l’acheminent des urnes, des bulletins de vote et des procès-verbaux ; l’impression des listes électorales ; la gestion des appels d’offre ; et l’embauche et la formation du personnel électoral. Autant d’actions qui ont sérieusement limité les pouvoirs du conseil électoral haïtien.
Fidèle à sa tradition de résistance, le peuple haïtien a amorcé le 7 février dernier la récupération de sa souveraineté et de sa dignité nationale. Par l’élection d’un gouvernement légitime s’ouvrent aujourd’hui d’importantes luttes. Le Cadre de coopération intérimaire, adopté par la communauté internationale et le gouvernement intérimaire sans participation des acteurs clés de la société haïtienne, a été prolongé jusqu’au 31 décembre 2007. Cette prolongation place le nouveau gouvernement dans la délicate situation de devoir obéir au cadre global de politique économique fixé par ses prédécesseurs, qui s’avère déjà un échec total.
La réponse hautement militaire de la communauté internationale - la MINUSTAH compte 7000 soldats pour environ 2000 civils et policiers - a également débouché sur un échec le plus complet. La paix peut revenir non pas par les armes et les victimes collatérales, mais par la médiation, la réconciliation et aussi le soulagement d’une pauvreté atroce qui affecte 75 % de la population. Les 41 millions de dollars mensuels de coûts d’opération de cette force d’occupation doivent immédiatement être réinvestis dans un programme souverain de lutte à la pauvreté.
Depuis 1986, la société haïtienne désire construire une démocratie participative moderne et inclusive. Elle doit pouvoir enfin trouver un espace politique adéquat pour la concrétisation de ce rêve après près de vingt ans de combats. L’enjeu est l’instauration d’un nouveau système politique qui permette d’investir les forces historiques de la nation dans un processus de transformation de l’État haïtien. Les vainqueurs et les vaincus d’aujourd’hui doivent définir de nouvelles règles du jeu à la hauteur de la volonté populaire : inclusion, transparence, dignité, tolérance, respect de la souveraineté, intégrité, priorité aux intérêts de la collectivité.
Puisse la mobilisation populaire des derniers jours se maintenir afin d’assurer que le nouveau pouvoir s’engage résolument dans une voie nouvelle propice à la satisfaction des principales revendications exprimées. Que cette mobilisation citoyenne soit capable de créer les conditions pour forcer des transformations d’ordre structurel, indispensables pour entrer enfin dans la voie de la re-fondation nationale.