Grâce à des représentants des gouvernements, comme M. Hugo Salvatierra, ancien ministre bolivien de l’Agriculture, ou à des militants de la base, comme Soraia Soriano, du puissant Mouvement des Sans-Terre, au Brésil, la conférence a entendu quantité de témoignages démontrant combien la mobilisation et la participation des citoyens changent la face des Amériques. Hormis le Chili, qui demeure fermement dans l’orbite du néolibéralisme, les autres pays du continent travaillent en effet à réinventer le pouvoir à travers la participation des citoyens. Dans certains cas, on peut même parler d’une véritable révolution, autant du point de vue démocratique que du point de vue culturel.
Pepe Vargas, un membre du congrès fédéral du Parti des travailleurs, au Brésil, a résumé la situation de la manière suivante : « Nous sommes en train de démocratiser la démocratie. L’élargissement de la démocratie populaire conduit à une réduction de la bureaucratie. Les citoyens n’ont plus à quémander leurs droits, parce qu’ils se voient accorder d’emblée le droit de participer. L’exercice permet d’entraîner les gens à dépasser l’individualisme créé par le néolibéralisme. »
Au Vénézuela, les politiques sociales ont nécessité d’importants investissements de la part du gouvernement Chavez, financés en bonne partie par les revenus tirés des vastes ressources pétrolières du pays. De plus, les Vénézuéliens ordinaires ont l’opportunité de participer à tous les aspects de la vie publique grâce à des consultations publiques, des assemblées de citoyens et à la démocratie participative. Mais cela n’empêche pas le gouvernement Chavez d’être confronté à une série de problèmes potentiels. L’un des plus importants demeure la contradiction qui existe entre son désir d’encourager l’émergence d’organisations autonomes des citoyens, et la dépendance financière et technique de ces mêmes organisations envers l’État. Cela peut facilement conduire au clientélisme.
Reste que malgré les diverses tentatives pour encourager la démocratie participative, chaque pays passe par un processus de changement fort différent. Par exemple, alors que les autochtones boliviens ont choisi de créer leur propre instrument politique et de lutter pour conquérir le pouvoir, ceux d’Oaxaca, au Mexique, ont décidé de suivre un chemin fort différent.
« Notre arme principale, ce n’est pas le fusil ou le vote, expliquait Dolores Villalobos, une institutrice du primaire représentant du Conseil autochtone populaire d’Oaxaca. C’est la solidarité, le réseau, le mouvement. Certains voudraient que nous soyons tous des individus isolés, mais nous sommes une communauté. »
En définitive, la conférence de Toronto a permis de constater qu’à travers l’Amérique du Sud, les partis de gauche et les mouvements sociaux ne sont pas seulement en train d’approfondir la démocratie. Ils sont aussi en train de réinventer les stratégies de la gauche. Auparavant, le choix se limitait à prendre le pouvoir à la manière des guérillas révolutionnaires ou à remporter les élections à la manière des partis sociaux-démocrates de l’Europe ou du Canada. Maintenant, la gauche sud-américaine parle de conquérir le pouvoir et de transformer la société à la longue, par la base.
Évidemment, plusieurs des solutions proposées par les conférenciers à la conférence de Toronto paraissaient adaptées à la situation de leurs pays respectifs. Il serait naïf de vouloir toutes les importer ici. Mais on peut espérer que la conférence a fourni amplement de sujets de réflexion pour les militants d’ici. Et qu’elle leur a donné envie de réinventer le pouvoir, à leur façon.