La Russie et son président Poutine semblaient confiants lors du dernier Sommet du G-8 à Saint-Pétersbourg. Est-ce que la Russie est sortie de la crise ?
Il y a de toute évidence de la part des dirigeants russes une confiance qui repose essentiellement sur le redressement économique de leur pays. À son tour, celui-ci repose sur les ressources et les capacités d’exportation énergétique de la Russie et sur la conjoncture internationale favorable qui les entoure. Quelques jours avant le Sommet, Poutine soulignait avec une certaine arrogance que les réserves pétrolières et gazières prouvées de la Russie étaient plus importantes que toutes celles des sept autres membres du G-8 réunis, mais effectivement, le pays connaît une croissance. L’expansion cumulative de l’économie de la Russie a été de l’ordre de 65 % au cours des sept dernières années. Le gouvernement a accumulé des réserves de plus de 70 milliards de dollars et a réglé toutes ses dettes. La Russie est l’État qui dispose maintenant des troisièmes plus importantes réserves monétaires au monde.
Mais cette croissance change-t-elle les conditions très dures de la population ?
Il est vrai que le chômage a diminué pour se situer à un taux de 7 %, que le revenu réel moyen par habitant a augmenté et que le nombre de personnes vivant sous le seuil (officiel et très bas) de la pauvreté est passé de 42 millions en 2000 à environ 25 millions. Il n’en reste pas moins que l’écart déjà abyssal entre les plus riches et les plus pauvres continue de s’accroître. Malgré le redressement des dernières années, la Russie demeure essentiellement un exportateur de matières premières et d’armement. Rien n’indique que d’autres secteurs importants de son économie soient en voie d’acquérir une compétitivité internationale et aucune politique cohérente n’a encore été mise en œuvre à cet effet.
Existe-il un lien entre ce regain économique de la Russie et la remontée des relations entre la Russie et les États-Unis ?
La coïncidence entre cette dégradation et la résurgence économique de la Russie n’est pas fortuite. On peut même y voir une relation de cause à effet. Pour Poutine, un rôle dominant de l’État russe dans les secteurs de l’énergie est le meilleur moyen d’assurer la sécurité des engagements de la Russie envers ses partenaires. Pour l’administration américaine, au contraire, les objectifs politiques de la Russie peuvent peser sur les approvisionnements en gaz et pétrole russes dont l’Europe est largement dépendante, et donc c’est dangereux. C’est pourquoi les États-Unis demandent la privatisation des oléoducs russes et la démonopolisation de Gazprom, et une plus grande ouverture de la Russie aux investissements étrangers dans ces secteurs. Poutine pour sa part voit là la volonté des États-Unis de prendre le contrôle des secteurs économiques les plus vitaux et les plus déterminants pour l’avenir de la Russie. Visiblement, Washington est furieux du fait que Poutine ait bloqué l’achat de la seconde pétrolière russe en importance par Exxon-Mobil et Chevron.
Où sont les autres points de friction entre Moscou et Washington ?
Le soutien donné par Bush à la volonté de l’Ukraine et de la Géorgie de devenir membres de l’OTAN est un gros irritant. Cet appui s’est exprimé de façon provocante dans le discours prononcé par le vice-président Dick Cheney lors d’une conférence à Vilnius (Lituanie) et dont le but était de promouvoir une « Communauté du choix démocratique » incluant l’Ukraine, la Géorgie, les États baltes, avec le but implicite de constituer un contre-modèle à la Russie et une sorte de ceinture Nord-Sud d’anciennes républiques soviétiques entourant la Russie. À cette occasion, Cheney a accusé Moscou d’utiliser ses ressources énergétiques comme « instruments de pression ou de chantage ». Il a affirmé que les États-Unis voulaient « libérer cette région de toutes les lignes de division restantes, des violations des droits humains et des conflits gelés ».
On est encore loin d’un retour à la guerre froide ?
Poutine comprend très bien l’énorme disproportion entre la puissance politique, économique et militaire des États-Unis et de la Russie. Mais paradoxalement, l’administration Bush, de plus en plus enlisée en Irak, est aussi en position de faiblesse. Dans sa confrontation avec l’Iran, Washington a grand besoin du concours de la Russie. Il en va de même dans le cadre des autres interventions militaires américaines, en Afghanistan notamment.