« En ce moment, les gens ont tendance à se définir dans les extrêmes. Soit vous êtes pro-Israëlien, et alors cherchez des excuses pour l’occupation. Soit vous êtes pro-Palestinien et trouvez des excuses au terrorisme. Je n’entre dans aucune de ces catégories », annonce d’emblée Elad Lahav, un jeune israélien de 27 ans, invité par l’organisme Palestiniens et Juifs unis (PAJU) à prononcer une conférence à Montréal. Élevé dans un kibboutz à deux kilomètres au nord de la bande de Gaza, il a participé à des camps qui rassemblaient des jeunes palestiniens et israéliens. Puis c’est le service militaire obligatoire, au milieu des années 90, alors que les accords d’Oslo faisaient rêver d’une paix prochaine.
Son baptême de l’Intifada, il ne le reçoit qu’en janvier 2001, lorsqu’il doit servir à Ramallah. Une poignée de soldats israéliens y recevaient l’ordre de disperser les milliers de manifestants qui déambulaient chaque vendredi. « Lorsque le ciel devient noir de pierres jetées vers toi, tu as peur pour ta vie, et puis tu jettes tes grenades lacrymogènes et tes balles de caoutchouc », se justifie-t-il. L’agitation passée, vient le temps de la réflexion. « Il n’y avait pas de raisons de disperser ces manifestations », poursuit-il. Pour lui, l’armée n’avait tout simplement rien à faire là. « Je ne blâme pas les simples soldats, mais bien le gouvernement et l’état-major de l’armée qui nous mettaient dans ces situations impossibles », fulmine-t-il.
Février 2002. L’Intifada bat toujours son plein lorsqu’il est de nouveau appelé sous les drapeaux. Entre-temps, il a vent de la décision des 52 premiers refuzniks. Elad Lahav hésite. « Mes valeurs contre la loyauté à ma compagnie », explique-t-il. Lorsqu’il prend enfin sa décision, il trouve une oreille compatissante chez son commandant. Ce dernier comprend ses motifs, mais lui explique néanmoins qu’en démocratie, on doit se soumettre à la volonté de la majorité. Le réserviste aura cette réponse : « La démocratie, ce n’est pas la dictature d’une majorité sur une minorité, mais un idéal basé sur des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité. Et puis comment parler de démocratie alors que sur le territoire du Grand Israël ou de la Grande Palestine - appelez-le comme vous voulez - il y a 9,5 millions d’habitants, dont seuls les 6 millions d’Israéliens peuvent voter, et non les 3,5 millions de Palestiniens ».
Traduit devant un tribunal militaire, il écope de 28 jours de prison. Pendant son incarcération, la situation, déjà dramatique, bascule. À l’attentat de Netanya pendant la pâque juive, l’armée réplique par la vague d’incursions dans les villes et camps de réfugiés palestiniens. Lahav déplore la vague de patriotisme qui a alors secoué son pays. « De simples curiosités, les dissidents sont devenus des traîtres. »
Quel avenir pour la paix ? Elad Lahav ne croit pas réaliste de reprendre des négociations de paix dans un avenir proche. « Ce dont les deux peuples ont besoin en ce moment, c’est d’une séparation. Il faudra au moins deux ans, peut-être plus, pour que les deux peuples puissent se comporter en bons voisins », croit-il. Elad Lahav se déclare en faveur d’un retrait immédiat des Territoires par Tsahal et de la création d’un État palestinien. Pour lui, un cessez-le-feu est aussi urgent, accompagné d’une force d’intervention internationale.
Et que fera-t-il à son retour en Israël ? « Je ne suis pas un activiste, mais bien un informaticien », a-t-il souvent répété pendant la conférence. Il veut « reprendre une vie normale », tout simplement. Elad Lahav participera tout de même aux manifestations pour la paix en Israël, et s’il est encore appelé à servir dans les territoires, il sait bien que sa conscience l’emportera une autre fois. Ce sera non, quitte à retourner en prison.