Tout le monde en France a ressenti les résultats du premier tour comme un séisme politique : Jospin, leader de la gauche, éliminé et Le Pen au second tour. Les bouleversements de ce scrutin ne se sont pas limités à cette évidence : l’abstention a progressé de 8 % par rapport à l’élection précédente (1995), l’extrême droite a gagné 1 million de voix : de 4,55 millions à 5,47 millions. La droite a baissé de près de 6 %, le Parti socialiste de Jospin de 7 %, le Parti communiste français, qui regroupait le quart des voix il y a une génération, est tombé à 3,37 %, l’extrême gauche a gagné, tous candidats confondus, 1,3 million de voix (10,44 %) et les Verts passent de 3,34 % à 5,25 %.
L’extrême droite, que l’on croyait en déclin, est enracinée. Il s’agit bien sûr du phénomène de montée des populismes que l’on note partout en Europe, en Autriche, au Danemark, en Italie, en Grande Bretagne, etc. et dernièrement aux Pays Bas ou la liste de Pym Fortyun (le leader xénophobe assassiné à quelques jours du scrutin) a dépassé, comme en France, le Parti travailliste à l’occasion des élections législatives. Mais l’extrême droite française a des caractéristiques propres : elle est tentée par le « ni droite-ni gauche » d’une démagogie sans limite, très près d’un fascisme moderne, et elle est installée pour des années en France.
Il n’en reste pas moins que le 6 mai 2002 les Français ont massivement marqué leur rejet du projet de régression du Front National, que les électeurs de gauche ont décidé « en attendant le bon, d’éliminer la brute et de voter pour le truand ». Le danger fasciste n’est donc pas celui d’une prise de pouvoir, ni immédiate, ni rapide ! Il faut plutôt craindre sa capacité à influer sur la politique menée par d’autres.
Une grande partie de la population ne croit plus en la classe politique. Beaucoup restent en souffrance : chômage, conditions de travail dégradées avec plus de flexibilité et des rythmes de travail plus durs, peurs des agressions dans les cités de banlieue, insécurités plus lointaines mais présentes dans les têtes avec le 11 septembre, la vache folle, les dérèglements climatiques...
L’insécurité est pourtant avant tout une perte de sens, une peur de l’avenir ; nous vivons dans une société qui se transforme à grande vitesse : « la mondialisation », qui crée une insécurité sociale et historique profonde.
Pourquoi ? Une première réponse partielle, c’est que face à la transformation du monde : circulation des idées, des informations, des marchandises et des personnes, de la finance, pouvoir réel financier, monde unipolaire depuis la disparition de l’URSS, il n’y a pas de contrepoids fort, l’équivalent que le communisme a pu présenter au vingtième siècle ! Sa faillite, ses sinistres erreurs l’ont mené à une quasi-disparition.
Il n’y a plus d’utopie, de projet politique d’alternative crédible. Beaucoup d’électeurs se réfugient dans l’abstention et le vote Le Pen ! Alors attention, si nous ne sommes pas capables de proposer un nouvel espoir, de nouvelles valeurs et un projet politique, que se passera-t-il dans les années qui viennent ?
Pourtant, une génération politique en ce printemps s’est éveillée à la politique à toute allure ! Les partis politiques, les associations ont vu affluer des citoyens souhaitant s’engager, jeunes et moins jeunes se réveillant ! Le contrechoc va-t-il démobiliser ces « bonnes volontés » ? Le débat des législatives pendant les semaines à venir va maintenir une certaine pression politique mais après ? Il est pourtant essentiel de revivifier les organisations tant associatives que politiques.