Rencontre avec Nicolas Milot, de l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM.
Au début du mois de juillet dernier, un collectif d’experts scientifiques signait, dans Le Devoir, un article concernant la reconstruction en zones inondables dans la Vallée du Saint-Laurent, à la suite des inondations survenues au printemps. Parmi les signataires, il y a Nicolas Milot, chargé de cours à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à l’Institut des sciences de l’environnement, qui pense que cette possibilité de reconstruction est une incohérence avec l’état de la connaissance actuelle de nos cours d’eau.
Printemps 2011. Montérégie. La région subit les plus graves inondations depuis plus de cent ans. Du jamais vu ; près de cinq semaines les pieds dans l’eau. Nicolas Milot explique que les inondations ont duré si longtemps à cause de l’inertie du territoire. « Ça prend beaucoup de temps à l’inondation pour arriver, mais ça prend beaucoup de temps à partir aussi », dit-il, en rappelant que le bassin versant de la Vallée-du-Richelieu, c’est-à-dire le territoire où les eaux seront drainées vers un même plan d’eau, est immense. La rivière Richelieu est l’une des plus importantes à se déverser dans le Fleuve Saint-Laurent. Arrivant tout droit du Lac Champlain, dans l’état américain du Vermont, son bassin versant rejoint plus de 400 000 habitants.
Mais pourquoi y a-t-il autant de maisons construites dans cette immense zone inondable ? C’est la grande question qui doit être posée, affirme Monsieur Milot. « Depuis les années 1980, rappelle l’expert, le gouvernement a statué que la construction en plaine inondable était à éviter. » Or, l’application de la loi fait défaut, comme il est possible de le constater avec les dégâts du mois de mai dernier. Plusieurs raisons expliquent la présence d’habitants sur les berges inondables de la rivière Richelieu. D’abord, parce que le processus n’est pas suffisamment contrôlé. Les habitants acceptent de se construire sur les bords d’un cours d’eau, même s’ils sont conscients des risques. Une amende de 5000 $ est alors distribuée, mais, comme l’explique Nicolas Milot, c’est presque devenu un montant ajouté à la valeur d’une maison. « Il faut, ajoute M. Milot, se mettre à la place des élus municipaux, qui vivent avec des budgets restreints pour tous les services. » La pression entourant la construction de résidences dans des lieux privilégiés, dont près de cours d’eau, est parfois si forte qu’elle risque d’entraîner des entorses aux règlements municipaux.
Avec le choix de reconstruire des résidences qui pourront être inondées de nouveau d’ici une période de 20 ans, le gouvernement a préféré éviter une résistance citoyenne. C’est du moins ce que soutient Nicolas Milot. L’expert en sciences environnementales rappelle que la Vallée du Saint-Laurent a été la scène d’importantes résistances citoyennes, notamment avec les mégaporcheries et, plus récemment, le gaz de schiste. Différente des mouvements environnementaux, la résistance citoyenne possible par rapport à d’éventuels déménagements d’habitants regrouperaient des gens de tous les horizons afin de défendre un territoire. Une chose que le gouvernement veut très certainement éviter.
Selon Nicolas Milot, le gouvernement permet la reconstruction pour ne pas devoir déménager des gens. « Quand on déménage des gens au Québec, ça fait toujours un tollé. Ce qui frappe l’imaginaire collectif, c’est Mirabel (Laurentides), c’est Forillon (Gaspésie). Déménager du monde, ce n’est pas très populaire politiquement. » Qui plus est, comme le souligne M. Milot, certaines familles sont installées sur les berges de la Vallée du Saint-Laurent depuis plusieurs générations et leurs terrains possèdent une grande valeur sentimentale. Malgré tout, il semblerait que la reconstruction des maisons coutera très cher. À coups de 150 000 $ dollars par habitations primaires (les demeures secondaires n’étant pas indemnisées), la facture est très élevée. C’est le gouvernement qui paie et qui paiera encore si d’autres intempéries surviennent dans les prochaines années.
De tous les facteurs qui peuvent être en cause, la privatisation des berges en est un, soutient Nicolas Milot. Dans des endroits comme la Vallée du Saint-Laurent, l’accès aux berges n’est pas public. Pour pouvoir y faire du bateau, du kayak ou tout simplement se baigner, les gens doivent posséder un terrain ou connaître des gens qui en possèdent un. Si l’aménagement privé du bassin versant de la rivière Richelieu avait été fait de façon différente et si les gens pouvaient avoir accès plus facilement à l’eau, peut-être ne verraient-ils pas le besoin de se construire si près, dans les zones inondables. La volonté de se construire près d’un cours d’eau peut découler du fait qu’il est difficile pour les citoyens d’y avoir accès. C’est une hypothèse que soutient Nicolas Milot, en expliquant que « quand on se construit en berge, on remplace un territoire qui était d’habitude un milieu humide ou une forêt par un terrain avec du gazon. Donc, la capacité de jouer un rôle de tampon du milieu en berge est diminuée, voire éliminée. »
Une chose est certaine, permettre la reconstruction va à l’encontre des lois et c’est le gouvernement qui, cette fois, décide de passer outre ses propres règles afin d’éviter une résistance citoyenne. Tout ça devant l’incertitude d’éventuelles inondations qui coûteront, encore une fois, plusieurs millions de dollars.