Rebâtir la gauche au Canada pour un monde plus juste

Critique de « Left, Right: Marching to the Beat of Imperial Canada »

Wednesday 17 October 2018, by Jooneed Jeeroburkhan

Lire le dernier livre d’Yves Engler, un incontournable point de départ

L’expulsion d’Yves Engler de l’Université Concordia après le boycottage-choc de Bibi Netanyahu en septembre 2002 est un don qui n’en finit pas de donner, selon l’adage anglais (A gift that keeps on giving…)!
Originaire de Vancouver, Yves était alors VP de l’Union des étudiants, et son expulsion était à l’étude dès octobre, alors que lui, il intensifiait son militantisme sur le campus contre divers sujets, entre autres les menaces d’agression contre l’Irak et le projet de libre-échange des Amériques…
Dès lors, il s’investit dans la recherche et l’écriture, ses premiers livres étant une « autobiographie » de son adolescence («Playing left wing : from rink rat to student radical», 2005) et, surtout, une dénonciation de l’intervention du Canada en Haïti («Canada in Haiti: Waging War on the Poor Majority », co-signé avec Anthony Fenton, la même année).
En 2009 paraît « Le Livre noir de la politique étrangère du Canada », son ouvrage-manifeste, où il impose son empreinte et annonce sa volonté de déconstruire les mythes sur lesquels est fondée l’image d’un Canada pacifiste et bienveillant, et derrière lesquels se cachent ses menées impérialistes. Honoré de prononcer quelques mots au lancement de ce livre à Montréal, je ne manquai pas de remercier Concordia de nous avoir fait cadeau d’un écrivain, brillant et essentiel, en l’expulsant de l’université. J’ai ajouté qu’avec ce livre, Yves venait de mériter son Doctorat!

PROMESSES TENUES

Neuf ans plus tard, Yves Engler, papa, et toujours militant, continue de tenir ses promesses : « Left, Right : Marching to the Beat of Imperial Canada », qui a paru en septembre, est son 10è ouvrage.
Hormis « Cars and Capitalism » (2011), co-signé avec Bianca Mugenyi, et qui critique la « culture de l’automobile » du point de vue écologiste et anti-capitaliste, les autres livres d’Yves Engler ont démoli, documents et citations à l’appui selon son style rigoureux, la version officielle d’un Canada bénin et inoffensif dans des dossiers brûlants qui ponctuent toujours de grands conflits autour de la planète.
Ainsi la création d’Israël et de l’Apartheid sioniste (2010), Pearson et le Maintien de la paix (2012), Stephen Harper et le Vilain Canadien (2012), le Canada et l’Afrique (2015), et la Propagande à la canadienne (2016), Yves Engler les a tour à tour décortiqués pour démontrer l’envers du décor, la face cachée d’un Canada hégémoniste issu d’un colonialisme de peuplement blanc (R-U), accroché aux basques de l’Oncle Sam, son grand voisin impérialiste, et nourri à l’auge militariste et guerrier de l’OTAN depuis 70 ans.

« LEFT, RIGHT », GAUCHE, DROITE MARCHENT ENSEMBLE

Dans « Left, Right » (« Gauche, Droite »), Yves Engler braque sa radiographie sur un secteur spécifique de la société canadienne, celui qu’on appelle communément « la Gauche » – et l’on aperçoit très vite que cette « gauche » ne sert qu’à compléter la « droite » dans la marche militaire des guerres d’agression sans fin de l’Empire US/UE/OTAN/OCDE.
Le livre sort dans un contexte où un vif débat secoue la petite « gauche » canadienne du NPD, des syndicats et d’une poignée de « penseurs » critiques, à propos de la collaboration de ce parti avec le puissant lobby sioniste à Ottawa, et du refus du NPD d’adhérer de plain-pied à la campagne BDS de pressions globales et pacifiques sur Israël pour le ramener dans le cadre du droit international et le contraindre à respecter les droits légitimes du peuple palestinien, dont le droit à son État souverain et au retour des réfugiés de 1948.
Pour son examen de la « gauche » au Canada, Yves Engler consacre un chapitre au NPD et son ancêtre le CCF, un autre au mouvement syndical, un 3è aux critiques de « gauche » de la diplomatie canadienne, individus ou centres de réflexion, un autre aux « liens de pouvoir » politiques et économiques qui limitent, voire paralysent, les acteurs de « gauche » qui veulent pousser l’action extérieure de l’État canadien dans un sens plus progressiste.

SUGGESTIONS & NOUVELLE VISION

Et il termine ce livre de 220 pages (sans compter 40 pages de bibliographie et notes) avec une « conclusion » où il avance des suggestions et propositions pour une Politique étrangère canadienne « plus juste », dont la mise sur pied d’un « Institut canadien de politique étrangère » (CFPI ou Canadian Foreign Policy Institute) pour coordonner et rassembler les diverses campagnes de solidarité internationale à travers le Canada, surveiller et critiquer les initiatives diplomatiques du gouvernement, partager l’information – et donc associer les citoyen-ne-s au rôle et à l’action du Canada dans le monde.
Une marotte de l’Empire des pays blancs riches et privilégiés jusqu’au début du 21è siècle a été de répéter à satiété que « la politique étrangère n’intéresse pas les gens », et elle n’est donc jamais débattue dans les campagnes électorales.
Tous les livres d’Yves Engler, celui-ci surtout, démontrent le contraire. Ils démontrent que l’organisation de la vie ici, y compris nos belles politiques sociales, repose sur les guerres et le pillage que nous menons là-bas, en les camouflant!

UNE GAUCHE À LA JEREMY CORBYN ?

Au début des années 1990, quand Jean Chrétien ramena les libéraux au pouvoir après la Guerre froide, j’étais invité à Ottawa à une consultation sur la politique étrangère. Il y avait quelques centaines de personnes de tout le Canada, réunies autour de tables, et chacun avait cinq minutes pour faire des suggestions.
J’en avançai cinq : que le Canada devienne une République, qu’il règle son différend constitutionnel avec le Québec, et la question de souveraineté avec les Premières nations, qu’il se retire de l’OTAN, et qu’il forme avec de grandes démocraties du Sud, comme l’Inde, l’Afrique du Sud et le Brésil, un « Groupe de Cinq ou de Six » qui déclenche une dynamique pour une ONU démocratisée, et pour un Ordre mondial de justice, de coopération et de paix.
Vous imaginez l’impatience autour de la table – surtout à propos du retrait de l’OTAN ! La petite gauche du Canada s’est ratatinée encore davantage depuis cette époque. Les lignes d’action qu’Yves Engler propose pour la rebâtir et la renforcer sont du domaine de la concertation et de la gestion.
Comme analyste praticien de politique étrangère depuis 50 ans, et Canadien originaire du Sud (et d’Orient), je ne vois pas, moi, de progrès réel sans la remise en cause du regard colonialiste et eurocentriste que le Canada, et tout l’Occident global, porte sur le reste du monde. Les petits ajustements de gestion ne suffisent pas.
Une grande exception : le Labour de Jeremy Corbyn au R-U. Pour doter le Canada d’une gauche à la Corbyn, il faut d’urgence commencer par lire ce livre d’Yves Engler. C’est un incontournable point de départ.

Yves Engler,
Left, Right : Marching to the Beat of Imperial Canada,
Black Rose Books,
Parution : 15 septembre 2018
190 pages | 5 1/2 x 8 1/2
ISBN: 9781551646633


View online : Left, Right: Marching to the Beat of Imperial Canada

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