Le projet gouvernemental sur les retraites du ministre des Affaires sociales François Fillon n’est pas une réforme, mais une entreprise de démolition. Il invoque l’équité et l’espérance de vie pour repousser l’âge de la retraite, avec à terme 42 ans de cotisation pour une retraite à taux plein. Mais l’état du marché du travail empêchera ces mesures de créer par miracle un surcroît d’activités. Par conséquent, les salariés partiront à la retraite à peu près au même âge, mais avec une réduction de cotisation qui, combinée avec d’autres mécanismes, aboutira à une forte baisse des retraites - d’au moins 20 % - venant frapper particulièrement les chômeurs, les employés précaires et les femmes. Ceux qui voudront, et qui le pourront, compléteront avec la capitalisation exposée aux risques boursiers. On voit que ce projet applique fidèlement les préceptes du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale.
De plus, le projet de décentralisation de l’éducation nationale correspond dans les faits à un projet de privatisation et de restructuration autoritaire. La politique éducative et scolaire mise en œuvre par Luc Ferry, ministre de l’Éducation nationale, prolonge, sans les modifier, les dispositifs des ministères précédents. Elle se distingue par des mesures symboliques et spectaculaires dont le but affiché est de « rétablir l’autorité dans les établissements ». Enfin, elle met un terme à la progression du budget de l’éducation nationale. Cette politique s’inscrit dans un contexte marqué par le glissement de la question éducative vers la question sécuritaire dans les quartiers.
Quant au projet de réforme de l’assurance-maladie, il s’agit ni plus ni moins que de remettre en question les avancées sociales en matière d’accès aux soins des plus démunis et d’assurer un glissement vers les régimes complémentaires.
Un enjeu très politique
L’enjeu est donc très politique et on assiste à un affrontement central. Si le gouvernement l’emporte, la conséquence sera équivalente à la défaite des mineurs britanniques en 1986 : un reflux social de grande ampleur, pour de longues années, qui laisserait le terrain libre au néolibéralisme. Si le mouvement social qui est en train de se lever débouche sur un mouvement d’ensemble ou sur une grève générale, le gouvernement sera plongé dans une crise politique. Comme en novembre et décembre 1986 où Chirac-Devaquet ont cédé, comme en janvier 1994 où Balladur-Bayrou ont cédé, comme en novembre et décembre 1995 où Chirac-Juppé ont cédé, le mouvement social, au sens large, est engagé dans la voie de l’affrontement que la droite cherche depuis longtemps. Il s’agit aujourd’hui de faire céder le trio Chirac-Raffarin-Fillon. Tel est l’enjeu.
Pour le moment, rien n’est joué, les camps se forment et se jaugent. La grève reconductible de l’éducation nationale se généralise, mettant en difficulté le ministre Ferry. Les organisations syndicales ont, unitairement, ouvert cette perspective. Sur le plan des retraites, elles se sont retrouvées confrontées à un risque de division avec le ralliement de François Chérèque, l’actuel secrétaire général de la Confédération française et démocratique du travail, au compromis proposé par Fillon. Heureusement, Chérèque se retrouve largement contesté par sa base, dont une grande partie réclame la démission…
Le gouvernement mène une campagne idéologique très forte pour faire croire que ses réformes sont indispensables, qu’elles n’ont que trop tardé. De plus, la droite dispose d’une grande majorité et, en dehors d’une crise politique, elle est assuré d’obtenir le vote des parlementaires. Dans ce contexte, l’opinion publique est partagée, mais certains sondages donnent un petit avantage aux défenseurs du système de retraites par répartition, du maintien et de la rénovation des services publics en France et en Europe. Les choix des directions syndicales et le mûrissement du mouvement d’ensemble vont être déterminants.
Julien Lusson, Cedetim