Samedi dernier, dans les rues de Québec, des milliers de manifestants ont affirmé à quel point ils tiennent à vivre dans un environnement sain. Plusieurs menaces ont été dénoncées : de la pollution qu’entraîne le pétrole des sables bitumineux à la construction d’un pipeline qui traversera pas moins de 961 cours d’eau, aux accords de libre-échange qui permettent aux entreprises de contester auprès de tribunaux privés des mesures environnementales adoptées par les gouvernements.
La belle unité des manifestants ne doit cependant pas faire oublier les choix difficiles auxquels toutes et tous sont confrontés. Parmi les solutions prônées, tout ce qui se dit « vert » est plus rassembleur que jamais. Mais les choix qui s’offrent à nous pour protéger l’environnement et combattre les changements climatiques ne sont justement pas toujours aussi « verts » qu’on le prétend et font l’objet de multiples débats. Ceux-ci laissent parfois libre cours à de nombreux sophismes qui permettent pourtant d’aller, sans le dire, à l’encontre de ces objectifs.
Il y a ceux dont les bons principes s’effacent devant la dure réalité : après tout, nous ne pouvons pas encore nous passer de pétrole. Dans un texte plutôt caricatural publié récemment dans Le Devoir, deux économistes liés à l’Institut économique de Montréal, Youri Chassin et Germain Belzile, fustigent ceux qui s’opposent à l’exploitation sans contraintes des hydrocarbures en leur demandant s’ils veulent retourner à l’éclairage à la chandelle… . Quant aux conséquences négatives de cette exploitation, elles seront éliminées grâce à « la créativité, l’inventivité et la détermination humaines », ce qui relève plutôt de la croyance et de la pensée magique. La faiblesse de cette argumentation est cependant contrebalancée par des intérêts financiers gigantesques qui demeurent la plus grande menace pour notre environnement.
D’autres considèrent qu’il est possible d’effectuer une transition vers des choix moins nocifs pour l’environnement sans ne rien bouleverser de notre système économique. Ils défendent une « économie verte » qui combine la protection de l’environnement et le respect des principes de base de l’économie néolibérale. SWITCH, l’Alliance pour une économie verte au Québec, est l’une des organisations les plus représentatives de cette tendance.
Parmi les avantages d’une telle économie verte, SWITCH mentionne l’augmentation de la productivité, la compétitivité accrue, la croissance dynamique. L’organisation se réjouit de l’apparition d’« immenses marchés ». Il s’agit donc ici d’opposer un capitalisme à un autre : l’économie verte entrera en compétition avec la vieille économie basée sur l’exploitation des hydrocarbures, mais cela se fera sans bouleversements, sous le mode de la concurrence, de la valorisation prioritaire du secteur privé et financier, de l’accumulation de profits pour une minorité, d’une consommation sans entraves. Les grandes entreprises ne prennent d’ailleurs pas de chance et jouent souvent sur les deux tableaux : Enbridge, par exemple, investit à la fois dans les oléoducs et dans l’énergie éolienne.
Deux aspects de cette économie verte semblent particulièrement contestables. D’abord le marché du carbone, qui permet aux entreprises d’échanger des droits de polluer (plus précisément, des « droits d’émission de gaz à effet de serre »), selon le principe de l’offre et de la demande. Ce marché, avec un prix de la tonne de Co2 assez faible, ne dissuade pas efficacement les entreprises de polluer et encourage la spéculation sur le dos de l’environnement.
Certains considèrent ensuite, selon un curieux anthropomorphisme, que la nature, comme les entreprises privées, nous fournirait des « services », et que ceux-ci ont une valeur marchande. Donner un prix à ces services nous permettrait d’en apprécier mieux la valeur et ainsi, de mieux préserver une nature si généreuse, économiquement parlant. Cette conception replace l’être humain au centre de l’univers, comme au temps où l’on croyait que tout a été créé pour son propre usage. La valeur des écosystèmes et de notre environnement est cependant beaucoup plus que marchande, et sûrement faut-il penser au lien fondamental qui nous lie à la nature, de manière à en assurer la préservation, qui est aussi notre survie. Ceci exige alors un respect constant et absolu pour elle, ce qui la situe nécessairement en dehors de la sphère commerciale.
Selon d’autres, enfin, le seul moyen efficace de protéger notre environnement est de transformer en profondeur certaines de nos pratiques économiques. Les changements proposés sont considérables, par exemple : cesser de penser toujours en fonction d’une croissance constante, qui selon plusieurs experts, ne sera plus jamais au rendez-vous de toute façon ; utiliser la règlementation contraignante et les sanctions contre les pollueurs plutôt que les mécanismes de marché ; réduire notre consommation énergétique et favoriser les énergies renouvelables, cesser l’exploitation de ressources archi polluantes telles que les sables bitumineux ou le pétrole de schiste ; limiter l’agro-industrie et encourager la souveraineté alimentaire ; électrifier les transports et développer les transports en commun ; limiter l’étalement urbain.
Ces mesures demandent de la vision et du courage politique ; elles exigent de sacrifier une rentabilité immédiate pour une meilleure qualité de vie et la sauvegarde des écosystèmes dont notre existence dépend. Pour y arriver, il faut aussi de mettre en cause certains dogmes économiques et penser en fonction d’une protection plus générale des écosystèmes. Ceci ne s’impose pas d’emblée et fait l’objet d’importants combats. Mais le chemin le plus difficile est
dans ce cas le plus salutaire.
Sur ce sujet, ATTAC-Québec et le Centre justice et foi organisent une journée d’étude intitulée Économie verte : pièges et alternatives, le samedi 18 avril, de 9h à 16h, à la Maison Bellarmin, 25, rue Jarry Ouest, Montréal.