Santé mentale au Québec

Quel financement pour les alternatives ?

jeudi 27 novembre 2008, par Normand Forgues-Roy

Lorsque le gouvernement Charest lance, en 2005, son plan d’action en santé mentale, il mise sur la « force des liens » et s’engage à financer adéquatement le milieu communautaire. Trois ans plus tard, alors que Jean Charest déclenche des élections sur fond d’incertitude économique, le financement des groupes communautaires en santé mentale n’est jamais venu et les besoins menacent d’augmenter considérablement.

« Dans un contexte de crise économique, il y a toujours une augmentation de la détresse psychologique », explique Robert Théoret, agent de l’action politique du Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ), un des réseaux communautaires en santé mentale de la province.

Or, ces groupes communautaires disent manquer de moyens pour y faire face. Ils soulignent que le gouvernement québécois ne respecte pas ses engagements. En 2005, le gouvernement Charest a présenté un plan qui précise que 10 % des investissements en santé mentale doivent être faits dans le milieu communautaire afin d’alléger le réseau public. Pourtant, selon le gouvernement québécois, seulement 7,2 % des investissements en 2006-2007 vont au milieu communautaire malgré les 10 % prévus dans le plan, et ce niveau est le plus élevé depuis son adoption. Au RRASMQ, on estime qu’il faudrait 35 à 40 millions de dollars supplémentaires pour combler l’écart. « Et même là, ça ne serait pas suffisant », ajoute Robert Théoret.

Une alternative à la psychiatrie traditionnelle

Depuis près de 25 ans, les ressources alternatives en santé mentale offrent une voie de contournement du système psychiatrique traditionnel. Ici, pas de camisole de force, pas de chambre d’isolement, mais des groupes d’entraide et d’’écoute. Le RRASMQ estime que c’est une des raisons pour lesquelles le financement n’est pas au rendez-vous : en visant la prise de parole et de pouvoir par l’usager sur son état, l’approche alternative cherche à modifier les façons de faire en santé mentale. Cette méthode est bien différente de la psychiatrie traditionnelle. « C’est une position par rapport au savoir autoritaire affirmant,“ moi, le psychiatre, j’ai le savoir, pas toi ” », explique Hélène Chabot, coordonnatrice d’un centre d’hébergement, la Bouffée d’Air, dans le Bas-St-Laurent. « Nous, on essaie de comprendre ce que vit l’autre », poursuit-elle.

Cette approche passe évidemment par le contrôle du patient sur sa médication. Le RRASMQ a mis au point un programme de gestion autonome des médicaments, où l’usager détermine s’il veut augmenter, diminuer ou cesser sa posologie, toujours dans un processus d’accompagnement et d’écoute. Une approche qui suscite des pressions de la part de médecins. « On se fait dire qu’il y a des questions d’imputabilité. Si un usager se suicide, nous pourrions être tenus responsables », raconte Catherine Ganivet, directrice du Centre de soir Denise-Massé, situé à Montréal. Malgré les réticences de la psychiatrie traditionnelle, Robert Théoret du RRASMQ défend ce lien de confiance : « Laissons-nous le temps d’être humain. »

Pour les tenants de l’approche alternative, cette prise de pouvoir sur leur vie par les usagers est bénéfique. Gaétan Perreault, qui fréquente le centre de jour et d’entraide en santé mentale Le Traversier et qui a été interné à trois reprises, est bien d’accord : « Je ne connais aucun usager qui est passé par la psychiatrie et qui veut y retourner. » Pour rejeter le système traditionnel, il mentionne le manque d’écoute du personnel et le sentiment qu’ont les usagers du système d’être ballotés sans pouvoir sur leur vie.

Au sein des ressources alternatives, la méthode privilégiée est celle du groupe d’entraide, auquel est associé un intervenant. Gaétan Perreault souligne que par la proximité des gens, il se crée une dynamique de soutien dans le groupe. Quand la dynamique s’est bien installée, que le groupe parvient à maturité, l’intervenant cesse d’être nécessaire. Il a recours à une métaphore pour illustrer cette situation où les participants parviennent à s’affranchir de l’autorité médicale : « En santé mentale, on pense souvent aux souris qui dansent quand le chat n’est pas là, mais dans un groupe mature, les souris ne dansent pas quand le chat n’est pas là. » Hélène Chabot de la Bouffée d’air renchérit : « Lorsqu’un groupe est sain, l’effet thérapeutique est multiplié par 100. »

L’approche alternative commence, petit à petit, à faire son chemin dans le réseau public. Catherine Ganivet estime que des gens du réseau public adoptent cette philosophie, malgré les résistances. L’embauche de gens issus du communautaire dans le réseau public et davantage de contacts et de collaboration entre les deux secteurs permettent cette percée. Il n’y avait presque rien quand les ressources alternatives ont commencé à apparaître il y a 25 ans. Maintenant, chaque CLSC collabore avec au moins une ressource alternative.

Une question de société

Avec leur approche, les ressources alternatives cherchent à régler le problème de la santé mentale dans une perspective de vie en société. Les problèmes du malade sont en partie liés à ses difficultés d’interactions avec d’autres personnes. La socialisation est parfois négligée par la psychiatrie, même si cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années 1980, il y avait un discours sur les causes de la santé mentale, dans lequel le contexte était pris en considération. Par contre, depuis 10 ans, le milieu médical s’est recentré sur des résultats. Les médicaments prennent le dessus, poussés par des impératifs économiques et politiques. « Du côté public, on est dans une logique de recettes miracles. », affirme Robert Théoret.

Dans un contexte où l’approche biomédicale domine, avec des psychiatres qui ont le dernier mot et un milieu communautaire sollicité pour offrir ses services sans recevoir l’aide financière nécessaire, la situation des gens aux prises avec des troubles de santé mentale pourrait s’aggraver. Les usagers des ressources alternatives sont de plus en plus cultivés et éduqués, signe que les problèmes de santé mentale s’étendent, ce qui pousse Robert Théoret du RRASMQ à se questionner : « Qu’est-ce qu’on se prépare comme société en termes de santé mentale ? »

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