Quel avenir pour la démocratie en Iran ?

lundi 29 novembre 2004, par Fred A. REED

À en croire Kaveh Ehsani et Ali Rezaei, l’avenir politique de l’Iran serait plus sombre que jamais. Les deux membres chevronnés du Mouvement de la réforme iranien prenaient la parole à un colloque organisé par le Comité pour la paix et la résolution des conflits, à l’Université Concordia de Montréal, le 4 novembre.

Selon Kaveh Ehsani, politologue à l’Université de Chicago et collaborateur de la prestigieuse revue iranienne Goftégou (Dialogue), personne ne peut prédire l’avenir en Iran en matière de démocratisation, ni, à plus forte raison, au Moyen-Orient. Mais les perspectives demeurent fort minces, surtout après l’élection aux États-Unis de George W. Bush, reporté au pouvoir pour un deuxième mandat.

En Iran, les élections législatives de février 2004 ont complètement bouleversé le paysage politique. On sait que l’aile conservatrice du régime a fait disqualifier plus de la moitié des candidats et candidates se réclamant des partis ou regroupements de la Réforme. La chambre est passée sous le contrôle des conservateurs. C’était, soutient le politologue Ehsani, « un coup de force » contre la Réforme, qui signifiait la fin de l’éphémère « printemps de Téhéran » inauguré avec l’élection de Mohammed Khatami en 1997.

Définitivement mort

En somme, les sept dernières années n’auront été qu’un intervalle ayant permis à un régime illégitime de perdurer. Par contre, insiste Kaveh Ehsani, la révolution islamique de 1979 a été une véritable révolution sociale, l’une des plus populaires jamais vues. Malgré la mainmise du clergé chiite sur les rouages de l’État peu après, le régime islamique n’a pas su, n’a pas pu, et peut-être n’a pas voulu interrompre l’essor de la modernité en Iran. Car, en même temps que la Loi islamique a été imposée, les classes populaires ont accédé à presque tous les paliers de la vie publique et politique. L’ancien régime est définitivement mort, nonobstant le rêve des monarchistes.

« La politique de la Réforme, c’est le résultat de ce mouvement-là, soutient le militant du Mouvement. Mais le régime islamique a voulu instaurer un modèle “chinois” de libertés économiques assorties de répression politique. Cela n’a pas marché. On assiste aujourd’hui à l’émergence des Gardiens de la révolution en tant que structure quasi mafieuse. Mais en même temps, une classe moyenne urbaine s’est formée. Cette classe constitue la base, même si elle est flottante, de la Réforme. »

La Réforme est donc, pour le moment, moribonde. Mais, explique encore M. Ehsani, elle a réussi à faire passer dans le discours politique de nouvelles préoccupations. En Iran, on parle désormais de la primauté de la loi, au moins en ce qui concerne le gouvernement. De nouvelles lois votées par le Parlement précédent ont su articuler des demandes sociales. Plus important encore, l’Iran a réussi, pour la première fois dans son histoire, à respecter l’alternance pacifique du pouvoir au niveau municipal.

Cette vision, un tant soit peu pessimiste, n’était pas tout à fait partagée par l’autre membre du Mouvement de la réforme, invité à prendre la parole au colloque du 4 novembre. Ali Rezaei est un militant réformateur de la première heure et il partage son temps entre ses études à l’Université de Calgary et son travail de consultant auprès du Mouvement à Téhéran. Il soutient plutôt que « la Réforme s’est transformée au fil des ans en lame de fond qui a porté Khatami au pouvoir. De part et d’autre, c’était la surprise totale. Le régime croyait que son candidat l’emporterait. Du côté des réformateurs, c’était la surprise totale. Ils n’avaient ni organisation ni programme politique ou économique. »

Absence de stratégie

D’où la relative facilité avec laquelle les « purs et durs » de l’appareil clérical, s’appuyant sur une interprétation contestée de l’islam, ont pu paralyser le gouvernement de Khatami et, finalement, lui casser les reins.

Si l’on avait à en tirer des leçons, toujours selon le militant Rezaei, il faudrait conclure que ce Mouvement n’avait pas de stratégie pour la conquête du pouvoir ; il n’avait pas d’organisation sur le terrain ; il n’a pas été capable de rejoindre les préoccupations - surtout économiques - bien réelles du peuple. Bref, c’est l’anatomie d’un échec.

Comme si cela ne suffisait pas, enchaîne Ali Rezaei, l’attitude agressive des États-Unis a encouragé les ultraconservateurs. Ces derniers s’érigent désormais en défenseurs et porte-étendards de la fierté nationale. »
La seule approche susceptible d’influer sur le cours des événements en Iran, selon M. Rezaei, serait d’installer les droits de la personne au cœur d’une éventuelle négociation. « Oui, la pression internationale compte en Iran. Les gens se trouvent actuellement dans un état d’apathie, c’est vrai. Mais il subsiste beaucoup d’énergie politique ; les gens ne sont pas désarmés pour autant. »

En fin de compte, tout changement en Iran doit venir de l’intérieur, a fait remarquer Roksana Bahramitash, professeur à l’université Concordia, qui vient de rentrer d’un séjour de plusieurs mois à Téhéran. « C’est un paradoxe. Les conservateurs religieux sont, en matière d’économie, plus progressistes que ne l’étaient les réformateurs. Le régime songe même à la création d’un ministère du Bien-être social. »

Et tout cela peut se passer sans démocratisation, ont fait valoir les conférenciers. La démocratie demeurant une perspective à peu près nulle. À l’heure de l’invasion américaine et de l’imposition de la « démocratie de marché » en Irak par le feu et le sang. On est en droit de se demander de quelle démocratisation il s’agit au juste.

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