La ronde de négociations amorcée à Doha, en 2001, n’a jamais été une « ronde de développement » comme on l’a souvent laissé entendre. La plupart des pays en développement sont arrivés à Cancun sur la défensive. Le défi était d’empêcher les États-Unis et l’Union européenne d’imposer de nouvelles demandes aux pays en développement et d’échapper aux exigences multilatérales de leurs politiques commerciales.
Il est vrai que l’OMC a été sérieusement malmenée depuis quelque temps. Après l’échec de Seattle, en 1999, voici maintenant celui de Cancun. Pour les pays industrialisés, l’institution ne représente plus un instrument viable pour imposer leurs volontés. Pour les pays en développement, le fait d’être membre de l’organisation ne leur a pas garanti une protection contre les abus des puissances économiques, et sert encore moins de mécanisme de développement. L’OMC n’est pas près de disparaître, mais tout porte à croire que la machine sera ralentie considérablement. Robert Zoellick, le représentant américain au commerce, a raison de douter de la conclusion de la ronde de Doha, qui est prévue pour janvier 2005.
Mais même si on se réjouit de l’échec de cette dernière rencontre, doit-on applaudir l’affaiblissement de l’OMC ? Après tout, affirment plusieurs, l’OMC est une institution qui est là pour mettre en place des règles et qui, avec un rapport de forces approprié, pourrait être utilisée pour protéger les intérêts des pays en voie de développement. Les partisans de cette vision affirment que l’OMC vaut mieux que les négociations bilatérales qui seront maintenant la priorité de Washington, comme l’a affirmé Robert Zoellick.
C’est un faux débat. L’OMC n’est pas une institution neutre où les règles et procédures peuvent être utilisées pour protéger les intérêts des joueurs les plus faibles. Les règles - la principale étant la suprématie du libre-échange - renforcent le système actuel d’inégalités économiques. Le principe de traitement spécial pour les pays en développement jouit d’une bien faible popularité à la table de l’OMC. À Cancun, les États-Unis et l’Union européenne ont complètement banni des négociations le programme de traitement différentiel qui avait été énoncé dans la Déclaration de Doha. L’OMC n’est pas une organisation multilatérale. C’est plutôt une machine qui perpétue la domination américano-européenne sur l’économie mondiale.
Dans la rue
La société civile a joué un rôle important à Cancun. Depuis Seattle, l’interaction entre la société civile et le gouvernement concernant les enjeux commerciaux s’est intensifiée. Les différents groupes ont mobilisé l’opinion publique contre les positions rétrogrades des pays riches et joué le rôle de chien de garde envers leurs propres gouvernements. Si plusieurs pays en développement ont résisté aux pressions à Cancun, c’est qu’ils craignaient les pressions des organisations à leur retour à la maison. L’échec de la rencontre ministérielle de Cancun confirme une observation émise par le New York Times : la société civile est la deuxième superpuissance sur l’échiquier international.
Le groupe des 21, qui a fait front commun contre les pays du Nord, est une nouvelle initiative qui pourrait aussi contribuer à modifier le rapport de forces sur le plan international. Mené par le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, ce nouveau regroupement a contrecarré les projets des États-Unis et de l’Union européenne qui auraient pu faire de Cancun un des épisode les plus tristes de l’histoire du sous-développement. Le poids de ce groupe a été clairement exprimé par son porte-parole, le ministre brésilien du Commerce, lorsqu’il a affirmé qu’il représentait plus de la moitié de la population mondiale et plus du deux tiers de ses agriculteurs.
Mais le potentiel de cette nouvelle formation ne doit pas être surestimé. C’est pour l’instant un groupe qui se concentre essentiellement sur la réduction des subventions à l’agriculture dans les pays développés. Il doit aussi s’attaquer aux besoins des petits agriculteurs dans les plus petits pays qui produisent principalement pour un marché local. En articulant ses demandes, le groupe des 21 trouvera des alliés naturels parmi les acteurs de la société civile. Avec les États-Unis et l’Europe qui sont déterminés à défendre le statu quo, cette alliance doit passer à l’action le plus rapidement possible.
Vers un nouveau défi
À l’approche de Cancun, l’intransigeance des pays industrialisés envers les préoccupations des pays du Sud était devenue de plus en plus évidente. Lors de la rencontre, il n’était plus question de réformes ou de compromis. Dans ce contexte, l’échec de la rencontre est de loin préférable à un succès qui aurait contribué à renforcer les mesures qui alimentent le sous-développement.
Après Cancun, le défi pour la société civile est maintenant de redoubler d’efforts pour démanteler les structures d’inégalités et proposer des voies nouvelles pour une coopération économique qui contribuerait à un véritable avancement pour les plus démunis de ce monde.
Walden Bello, collaboration spéciale